La « Chanson des quatre fils Aymon » aussi connue sous le nom de « Chanson de Renaud de Montauban » est d’abord une chanson de geste jouée à la cour des puissants par les trouvères et les jongleurs ; elle est transcrite dans la littérature médiévale à partir du 13esiècle.
Cette histoire tient son nom de quatre preux chevaliers nommés Aalard, Renaud, Richard et Guichard, fils du Duc Aymon de Dordone. Renaud de Montauban en est le principal personnage.
Le récit raconte le conflit opposant les fils Aymon à Charlemagne.
La légende
Le Duc Aymon de Dordonne conduit ses quatre fils Renaud, Alard, Guichard et Richard à la cour de Charlemagne à l’occasion des fêtes de Pentecôte. Les quatre garçons y sont faits Chevaliers et des réjouissances s’ensuivent.
Bertolais, neveu de l’Empereur, et Renaud font une partie d’échec. Bertolais ne supportant pas la défaite, s’en prend violemment à son adversaire. Dans la bagarre, il est mortellement blessé d’un coup d’échiquier porté par Renaud.
Les frères Aymon réussissent à s’échapper. Montés tous quatre sur le cheval-fée Bayart, ils sèment rapidement leurs poursuivants. Ils arrivent enfin à Dordonne, mais le duc, leur père, les chasse en raison de sa vassalité envers Charlemagne.
C’est Maugis, leur cousin, qui les accueille sur les bords de Meuse dans la profonde forêt d’Ardenne. Ensembles, ils construisent la forteresse de Montessor sur un roc surplombant le fleuve.
Pendant sept années, ils y vivent en paix. Puis un jour, Charlemagne découvre leur retraite et fait le siège du château avec une troupe importante.
Les assiégés résistent héroïquement mais un traître, la nuit venue, parvient à baisser le pont-levis et tirer les verrous ; la forteresse tombe. Les quatre frères s’enfuient et se réfugient dans la forêt où ils vivent de chasse et de rapine.
À demi-mort de faim, les beaux jours revenus, ils quittent la forêt et repartent pour Dordonne. Bien qu’ils aient beaucoup changé, leur mère les reconnaît et leur accorde l’hospitalité, contre l’avis du Duc Aymon, son époux.
Réconfortés et armés par leur cousin Maugis, les quatre frères décident de se mettre au service d’une juste cause. Ils se rendent en Gascogne où le roi Ys est en guerre contre les Sarrasins.
Après d’âpres combats, la victoire est totale. Le roi Ys, en remerciement, leur offre le château de Montauban et la main de sa sœur à Renaud.
À Montauban, Renaud et ses frères sont à nouveau rattrapés par l’armée de Charlemagne. L’Empereur parlemente avec Ys et ses conseillers : les quatre frères iront à Vaucouleurs et se réconcilieront avec Charlemagne.
Le matin venu, Ys se désole de sa trahison. Les fils Aymon font route vers Vaucouleurs. Ils se rendent compte de la trahison et au milieu de la bataille, ne doivent leur salut qu’à l’arrivée providentielle de Maugis et ses enchantements. Ils peuvent ainsi rentrer à Montauban.
Les quatre frères sont las des querelles et des batailles, aussi, Roland sert-il d’intermédiaire entre Renaud et Charlemagne. Malgré tout, il n’y aura pas de paix et le siège de Montauban continue.
La famine décime les assiégés et par une chance infime, un vieil homme apprend à Renaud que l’on peut sortir de la forteresse par un souterrain. Montauban est sauvé.
Après de longs pourparlers, Charlemagne est contraint par Roland de proposer une offre de paix, en échange de laquelle Renaud s’engage à partir en pèlerinage en Palestine et à lui livrer le cheval-fée Bayart.
C’est alors le départ de Renaud pour le Saint-Sépulcre.
Charlemagne est à Liège quand le cheval-merveilleux lui est amené. Une meule très lourde est liée au cou de Bayart que l’on jette d’un pont dans la Meuse. Mais le destrier revient sur l’eau, brise la pierre et s’enfonce dans l’épaisse forêt d’Ardenne où l’on l’entend hennir certaines nuits sans lune.
Au retour de pèlerinage accompli avec Maugis, Renaud apprend la mort de son épouse. Ses enfants, Aymonnet et Yonnet, sont envoyés à la cour de Charlemagne où ils sont bien accueillis. De son côté, Maugis part pour son ermitage où il mourra sept années plus tard.
Renaud veut désormais consacrer les dernières années de sa vie à Dieu. Il va par les bois et les chemins pour arriver à Cologne.
Il s’engage comme ouvrier sur le chantier de la cathédrale. À l’heure de la paie, Renaud n’accepte qu’un denier, juste assez pour son pain. Il est surnommé « l’ouvrier de Saint-Pierre ». Jaloux, ses compagnons prétendent qu’il leur fait du tort. Ils le tuent et jettent son corps dans le Rhin.
D’après la légende, les poissons du fleuve portent son corps entouré de cierges et sous le chant des anges.
L’Archevêque de Cologne célèbre les obsèques de Renaud. Le char funèbre se dirige de lui-même vers Trémoigne (Dortmund) où il est enterré. Les miracles se multiplient sur son passage.
Les personnages
Charlemagne
Charlemagne est présenté dans cette légende comme un roi injuste, intraitable, déloyal et lâche (prise de Montessor par surprise, piège tendu aux quatre frères Aymon).
Ses barons et surtout Roland (de Roncevaux) font pression pour qu’il accepte une réconciliation avec les fils Aymon, au final, il obtient gain de cause puisque Renaud accomplit un pèlerinage en Terre Sainte et lui livre le cheval Bayart.
Roland
Roland est le principal rival de Renaud. C’est lui qui offre la meilleure offre de paix entre Charlemagne et les frères Aymon. Il deviendra lui aussi le héros d’une chanson de geste : Roland de Roncevaux.
Duc Aymon de Dordonne
Il est le père des quatre frères qu’il présente à la cour de Charlemagne pour être adouber lors des fêtes de Pentecôte. Il restera un allié fidèle à Charlemagne, allant jusqu’à chasser ses propres fils, avant de leur pardonner.
Frères Aymon
Selon la légende, les fils Aymon sont nés dans les Ardennes.
- Alard ou Aalard, l’aîné, le plus sage et prudent ;
- Renaud, le second ;
- Guichard, le troisième, courageux ;
- Richard, le benjamin, ardent et impétueux.
Tous quatre sont faits chevalier par Charlemagne.
Renaud (ou Renaud de Montauban connu également sous le nom de Rinaldo di Montalbano) est le personnage central de cette légende. Il se montre loyal et fidèle. Il est aussi coléreux, mais pardonne facilement.
Il épouse Aélis (ou Clarisse), la sœur du roi Ys (ou Yvon) dont il a deux fils : Aymonnet et Yonnet. Il suit une évolution spirituelle qui le conduit à Jérusalem.
C’est Maugis, son cousin, qui lui offre le cheval-fée Bayart et l’épée Froberge.
Sa mort en martyr sur le chantier de la cathédrale de Cologne lui confère une aura de grandeur. Il devient « Patron » de la ville de Dortmund et des tailleurs de pierre.
Maugis
Maugis est le cousin des frères Aymon. Par ses sortilèges et enchantements, il aide les quatre frères à lutter contre Charlemagne dont il a fait son ennemi intime. Son histoire est celle de Maugis d’Aigremont, recueilli par la fée Oriande qui lui enseigne l’art de la magie.
Le moment de la grande épreuve venu, il part pour l’île de Boucam et y affronte un serpent puis un dragon. Il découvre un cheval retenu prisonnier par des chaînes aux quatre pattes. Par sa force et sa magie, il libère le cheval-fée Bayart, cheval qu’il offrira ultérieurement à Renaud.
De retour auprès d’Oriande à Rosefleur, Maugis voit le château attaqué par les barbares avec à leur tête Anthénor. Maugis et son cheval font si bien que les barbares sont vaincus. Tous… sauf Anthénor. Un terrible combat à l’épée s’engage alors. Grâce à Bayart, Maugis en sort victorieux. Floberge, l’épée d’Anthénor devient la possession de Maugis, une épée forgée par le célèbre forgeron Galand, tout comme Durandal, l’épée de Roland de Roncevaux.
Maugis est très proche de ses cousins qu’il conseille et sauve à plusieurs reprises par sa magie. Lorsque la paix est enfin établie, il part pour son ermitage où il termine ses jours après sept années.
Bayart
Bayart (ou Bayard ou Baiart), qui signifie cheval de robe ou de couleur baie, est un cheval-fée enchanté et touché par la magie.
La tradition le dit fruit des amours d’une serpente et d’un dragon, originaire de l’île de Boucam, il est libéré de ses chaînes par Maugis. Il est offert à Renaud après qu’il ait tué accidentellement Espiet, neveu de Maugis, d’un coup de sabot.
Ce fabuleux destrier aide et sauve à de nombreuses reprises les frères de situations périlleuses. Il est ainsi capable de les emmener tous quatre sur son dos ou bien d’effectuer des bonds prodigieux. Il peut galoper sans faiblir et semble ne jamais s’essouffler, puisant la force qui gonfle ses flancs en terre d’Ardenne.
Après avoir été précipité du haut d’un pont dans la Meuse, Bayart réussit à casser la lourde pierre de meule qui le retenait au cou, remonte sur la berge et s’enfonce dans la forêt d’Ardenne où l’on peut toujours l’entendre hennir à chaque solstice d’été.
Poème (sonnet) de Henri Dacremont
Les Quatre Fils Aymon
Sur leur cheval Bayard, les quatre fils Aymon,
Vers la grande forêt et vers la haute fagne,
Sautant fleuve et ravin, par le val, par le mont,
Vont fuyant le courroux du puissant Charlemagne.
Et le grand empereur de Gaule et d’Allemagne,
Toujours, toujours, poursuit sans merci, sans pardon,
De forêt en forêt, de montagne en montagne,
Les quatre cavaliers dans l’Ardenne sans fond.
Mais l’Ardenne couvrit ses quatre enfants vaincus,
Du silence qui plane aux horizons perdus,
Et du manteau brumeux et de l’immensité verte.
Maintenant pour toujours, énorme masse inerte,
Se dressent, roc géant dans l’Ardenne sans fond,
Sur le cheval Bayard, les quatre fils Aymon.
Les traces de la légende
Bogny-sur-Meuse/Château-Regnault : la légende s’installa confortablement dans la région : quatre dents rocheuses de quartzite qui se succèdent sur une crête, figurant dans l’imagination populaire « les quatre preux chevaliers chevauchant à la file sur le bon coursier Bayart », furent appelés « Les Quatre Fils Aymon ».
On ne tarda pas non plus à associer d’autres figures de la geste : un bloc de pierre qui selon Albert Meyrac « simule à travers les arbres une énorme statue humaine coiffée d’une toque » devint la Roche Aymon, tandis qu’une « pierre druidique » détruite vers 1842, fut dénommée « Table de Maugis ». La première des dénominations, confortée par la valorisation touristique, fut conservée.
Joseph Bédier, professeur de littérature française du Moyen-Âge au Collège de France et aussi membre de l’Académie Française, reconnu, dans les textes anciens, le site de Monthermé. Le prestige de Bédier imposa alors que le château de Renaud et ses frères, le Montessor de l’époque, ne faisait qu’un avec le Castrum Renaldi, c’est-à-dire le Château-Regnault de l’histoire.
Il restait à immortaliser dans la pierre le souvenir des chevaliers sur le site-même de leur château et de leurs exploits : le monument des « Quatre Fils Aymon » par Albert Poncin.
En 1929, le sculpteur Albert Poncin reçut au Salon des Artistes Français à Paris la médaille d’or pour une représentation en plâtre des « Quatre Fils Aymon et leur cheval Bayart ». Le Ministère de l’Instruction Publique et des Beaux-Arts lui passa commande d’une œuvre monumentale et proposa qu’elle soit dévolue au département des Ardennes.
Deux polémiques apparurent : l’une sur la représentation des « Quatre Fils Aymon », l’autre sur le lieu d’implantation. En effet, fallait-il représenter les chevaliers fougueux dans une attitude calme et sereine alors qu’ils incarnaient la rébellion ? Cette polémique s’estompa rapidement devant le choix d’implantation de la statue. Paris et Lyon furent pressentis.
Un comité du monument des « Quatre Fils Aymon » fut créé par Jean Rogissart et Jean-Paul Vaillant et, grâce à leurs efforts, par arrêté ministériel du 11 juillet 1932, le site de Château-Regnault est désigné pour recevoir la statue.
Avec l’aide du Conseil Général des Ardennes et une souscription lancée par les écrivains ardennais et les membres de l’association L’Ardenne à Paris, les fonds sont enfin réunis.
La première pierre du socle est posée le 23 août 1932. L’inauguration prévue en 1933 fut reportée pour des raisons économiques. Le monument put enfin être inauguré le 2 juillet 1950. Il fut rénové en 1981 et le site connaîtra une profonde réhabilitation fêtée en juin 2010.
Presque en face, d’un bond du cheval-fée Bayart, se trouve un massif abrupt et très découpé : le Rocher de l’Ermitage. Selon la légende, c’est ici que l’enchanteur Maugis vint faire pénitence. Il y mourut sept années plus tard.
À Dinant, proche de le frontière belge, se trouve le « Rocher Bayart » ou « Roche à Bayart ». On dit que les quatre frères et leur cheval Bayart y étaient cernés par Charlemagne, mais au moment où celui-ci pensait les tenir, le cheval-fée frappa si fort de ses sabots sur le sol, qu’il s’envola avec les frères Aymon par-dessus le fleuve. Le grand bloc rocheux fut brisé en deux et sur la roche, l’on peut encore apercevoir l’empreinte des sabots de Bayart.
Ommegang de Termonde (ou Dendermonde) en Belgique flamande, est une très ancienne festivité se déroulant tous les dix ans. Les dernières éditions datent de 2000 et 2010. Il s’agit d’un cortège dont l’acteur principal est le cheval Bayart. Cette cérémonie a été reconnue par l’UNESCO comme Patrimoine Culturel Immatériel de l’Humanité, au titre des Géants et dragons processionnels de Belgique et de France.
Le Bayard d’or : en Belgique, depuis 1994, le « Bayard d’or » est une récompense décernée au meilleur film par Le Festival International du Film Francophone de Namur. Le trophée est l’œuvre du sculpteur Olivier Strebelle. En fait, il s’agit d’une reproduction en taille réduite de la sculpture en bronze incrustée de céramique trônant au pont des Ardennes à Namur.
Le Grand Marionnettiste, œuvre de Jacques Monestier créée en 1991 à Charleville-Mézières.
Cet automate de dix mètres de haut s’anime toutes les heures. Il est installé place Winston Churchill, entre l’Institut International de la Marionnette et le Musée de l’Ardenne.
Le grand Marionnettiste présente chaque jour de 10h00 à 21h00, en douze tableaux, la légende des quatre fils Aymon. Tous les samedis à 21h15, la totalité des tableaux que compose la légende est présentée au public.
Une visite au Musée de l’Ardenne fait entrevoir les coulisses de cet automate.
Sources
La bibliothèque nationale possède deux manuscrits de cette chanson de geste (récit versifié relatant des exploits guerriers appartenant au passé) :
- L’un provient du fonds La Vallière et renferme vingt mille vers environ, écrits sur trois colonnes.
- Le second est illustré de quelques miniatures et contient vingt-huit mille vers. Il donne, en plus de la version précédente, la « Chanson de Maugis d’Aigremont », branche ajoutée plus tard au tronc primitif.
« Ce poème est l’histoire de Renaud de Montauban et de ses frères, des quatre Fils Aymon persécutés par Charlemagne… . C’est le récit d’une vie héroïque » Hippolyte Taine, après avoir parcouru l’édition donnée en 1862 par M. Michelant, sous le titre de « Renaud de Montauban ».
La Chanson des Quatre Fils Aymon par Ferdinand Castets, d’après le manuscrit La Vallière.
Histoire des Quatre Fils Aymon par M. Brès.
Recherches sur les rapports des chansons de geste et de l’épopée chevaleresque italienne : La Chanson de Renaud de Montauban par Ferdinand Castets.
Bogny-sur-Meuse : du passé vers l’avenir (Éd. Terres Ardennaises).
Magazine Terres Ardennaises n°49.
De nombreux ouvrages racontent l’histoire des quatre Fils Aymon. Le dernier en date est la bande dessinée de Hervé Gourdet, dessinateur et illustrateur ardennais, il s’articule autour de quatre albums :
- Tome 1 : MAUGIS, la naissance de l’enchanteur
(d’après l’Histoire de Maugis d’Aigremont et de son frère Vivien) ; - Tome 2 : CHARLEMAGNE et les Seigneurs d’Ardenne (2018) ;
- Tome 3 : RENAUD, le prince déchu (2020) ;
- Tome 4 : BAYARD, la chevauchée entre les mondes (2022).
Pour Hervé Gourdet, son créateur, « cette série est une manière originale et moderne de faire découvrir les Ardennes auprès d’autres territoires ». Il ajoute que « plusieurs sites naturels et géologiques sont représentés dans cette histoire, comme le Roc-la-Tour ».
Les Ardennes : Contes et Légendes d’après Albert Meyrac par Hervé Gourdet, Maryline Maillet, Jean-Marie Lecomte (Éd. Noires Terres).
Petit guide de Féerie en Ardenne par Hervé Gourdet et Olivier Rime (Éd. Société des Écrivains Ardennais).
La Forêt des Ardennes (Légendes, Coutumes, Souvenirs) par Albert Meyrac.
Revue d’Ardenne & d’Argonne : poème « Les Quatre Fils Aymon » d’Henri Dacremont.