Installé à l’angle de la place Winston Churchill, entre le Musée de l’Ardenne et l’Institut International de la Marionnette et haut d’une dizaine de mètres, le Grand Marionnettiste nous conte la fabuleuse histoire des Quatre Fils Aymon en douze saynètes.
La commande
Jacques Félix, président des Petits Comédiens de Chiffons et de l’Institut International de la Marionnette (IIM) veut frapper un grand coup pour le Festival Mondial des Théâtres de Marionnettes qui aura lieu en septembre 1991 à Charleville-Mézières. A cette occasion, seront fêtés :
- les 50 ans de la création de la Compagnie des Petits Comédiens de Chiffons à Charleville par Jacques Félix en 1941
- les 30 ans du Festival Mondial des Théâtres de Marionnettes, le 1er festival ayant eu lieu en avril 1961, Charleville accueillant par la même occasion le deuxième Congrès National du Syndicat des Guignolistes et Marionnettistes Français
- les 10 ans de l’Institut International de la Marionnette créé en 1981 à l’instigation de Jacques Félix
Dès 1985, Jacques Félix cherche l’idée, le créateur capable de réaliser son souhait. Il prend alors contact avec Jacques Monestier, créateur d’automates.
Après visite des lieux, Jacques Monestier propose la réalisation d’une oeuvre monumentale comme il sait si bien le faire : un marionnettiste géant.
Le Grand Marionnettiste est un personnage en laiton martelé d’une dizaine de mètres de haut. Il est complètement intégré dans la façade du siège de l’Institut International de la Marionnette, place Winston Churchill.
Cet automate est entièrement animé :
- Le mouvement permanent : face au public, le personnage bouge la tête et les yeux
- Le mouvement à chaque heure : le personnage tape du pied et frappe ainsi les trois coups du spectacle. Sa bouche, d’une voix grave, annonce l’heure. Les rideaux du théâtre s’ouvrent, il raconte et ses mains animent un court spectacle de marionnettes
Quelques minutes après le spectacle, un nouveau tableau se met en place pour l’heure suivante.
De 10 heures du matin à 21 heures le soir, le Grand Marionnettiste retracent la célèbre légende ardennaise des Quatre Fils Aymon.
Le samedi à 21 heures 15, le Grand Marionnettiste présente les douze tableaux en continuité.
Qui est Jacques Monestier ?
Jacques Monestier est né le 8 juillet 1939 au Puy-en-Velay en Haute-Loire et vit désormais en Bourgogne.
Il poursuit des études d’ingénieur à l’Ecole Bréguet et artistiques à l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Art (1960-1965 section architecture). A 26 ans, il obtient une Bourse de la Vocation qui permet aux jeunes de réaliser leur projet en leur apportant les garanties morales et les moyens matériels pour l’accomplir.
Se définissant lui-même comme sculpteur d’automates, il réalise de nombreuses sculptures animées, mélange d’art et de techniques. Le travail du laiton ou du cuivre n’a plus de secret pour lui et lorsqu’une technique lui manque, il l’apprend.
Pour ses œuvres monumentales, il collabore avec d’autres artistes ou spécialistes utilisant les techniques les plus modernes.
Après de nombreuses récompenses, il est fait Chevalier des Arts et Lettres en l’an 2010.
Parmi la longue liste de ses réalisations, on peut citer :
- 1959 La Joueuse de Harpsicorde
- 1965 Le Combat de Coqs
- 1967 La Pieuvre
- 1970 La Pendule aux Dauphins
- 1979 Le Défenseur du Temps
- 1985 L’Escaladeur
- 1991 Le Grand Marionnettiste
- 1997 Le Trotteur
- 2000 Le Grand Trotteur
- 2005 Le Dessinateur (en hommage à son grand-père)
- 2011 Le Tournesol
Entre 1970 et 2003, il met au point la Main Monestier-Lescœur. Il s’agit d’une prothèse de main qui utilise le principe de base de la main humaine, les doigts sont formés de trois phalanges articulées avec un pouce fixe en opposition avec l’index.
« Pour l’étude technique, j’ai appliqué les principes défendus depuis de nombreuses années par le Docteur Lescœur, c’est-à-dire la main à préhension molle qui empaume l’objet » déclare Jacques Monestier avant d’ajouter : « Pour que la prothèse ne soit pas un sujet de honte et de répulsion, j’ai voulu créer un objet que tous, à commencer par l’amputé lui-même, aient plaisir à regarder ».
Le mouvement est donné par des fils de nylon reliés à un équilibreur de force, lui-même fixé sur un fils de traction. La traction est fournie par un harnais fixé sur les épaules.
Il reçoit en 1993, le prix Handica pour cette prothèse de main.
Le lieu
Il faut trouver un toit à ce marionnettiste géant. L’Institut International de la Marionnette a son siège au 7 place Winston Churchill à Charleville-Mézières. C’est là que tout naturellement, le Grand Marionnettiste va élire domicile.
Des travaux sont engagés, le porche sera fermé par une grille laissant apparaître les jambes et pieds du marionnettiste, sur le toit, ne sera conservée qu’une lucarne pour loger la tête de la marionnettes. Enfin, au centre de la façade, la fenêtre sera élargie pour laisser place à un castelet où les mains du marionnettiste seront visibles. L’horloge sera installée en haut du castelet.
Le financement
Pour financer cette horloge monumentale, il est fait appel au mécénat d’entreprise et au mécénat privé (les particuliers), aux instances locales, départementales et régionales.
Le coût est estimé à 2,5 millions de francs (environs 380 000 euros).
La Ville de Charleville-Mézières finance le projet à hauteur de 400 000 francs (environs 61 000 euros).
Les donateurs participent à hauteur de 600 000 francs (91 500 euros), ils ont leur nom gravé sur de grandes plaques apposées sur l’automate. C’est une façon de remercier les généreux souscripteurs et de prouver à chaque visiteur la coopération et la volonté des Ardennais.
L’Horloge du Grand Marionnettiste bénéficie du mécénat de la Fondation du Crédit Agricole et du Crédit Agricole du Nord-Est.
Elle a aussi l’appui du Ministère de la Culture et de la Communication, du Conseil Général des Ardennes, du Conseil Général de Champagne-Ardenne, du Comité Régional et du Comité Départemental du Tourisme.
La réalisation
Jacques Monestier travaille dans son atelier en Bourgogne. Avant de passer à la réalisation, il effectue d’innombrables croquis dans des carnets : des études de tableaux, des câblages, des détails de la tête ou bien des mains, tout est consigné.
La phase suivante consiste en la réalisation de maquettes à l’échelle. De cette manière, le créateur a une vision d’ensemble de son oeuvre et peut modifier si besoin.
Le Musée de l’Ardenne possède une maquette au 1/5e et une maquette au 1/10e de l’Horloge du Grand Marionnettiste.
Après les maquettes, Jacques Monestier reconstitue dans son jardin la partie centrale du bâtiment et la partie du toit devant recevoir la tête.
Après de nombreuses études de formes, de volumes, vient la construction des différents éléments des tableaux, les décors, etc… : les éléments en taille réelle sont dessinés, fabriqués, assemblés au fur et à mesure. Des essais de mise en scènes sont régulièrement réalisés afin de vérifier les divers fonctionnements.
Enfin, après de nombreux mois de travaux par une équipe menée par Jacques Monestier, l’œuvre est enfin prête à partir pour Charleville-Mézières.
L’entreprise ardennaise Puicouyoul se charge du transport, nécessitant pas moins de trois semi-remorques.
Puis c’est au tour du 3e Régiment du Génie, basé à Charleville-Mézières de participer à sa manière au montage : il est chargé avec ses puissants engins de la mise en place des tapis roulants au premier étage du bâtiment (ces tapis et tables à rouleaux servent à présenter les tableaux et pèsent 300 kgs environs chacun).
L’inauguration
L’inauguration a lieu le 21 septembre 1991, l’Horloge du Grand Marionnettiste se dévoile au public.
C’est Jacques Félix président de l’Institut International de la Marionnette et commanditaire du Grand Marionnettiste qui prononce le discours devant une foule dense, composée d’officiels, mais aussi des presque huit cent donateurs-mécènes qui ont permis à leur manière cette réalisation.
Depuis 1991
Depuis 1991, Christian Durut est chargé de l’entretien et de la maintenance de l’Horloge du Grand Marionnettiste. Christian Durut est à la tête de l’entreprise DH Quartz à Charleville-Mézières. Il est campaniste, c’est-à-dire que son activité est spécialisée dans le domaine de l’horlogerie industrielle et monumentale.
Christian Durut a suivi pas-à-pas l’installation et la mise en service du Grand Marionnettiste aux côtés de Jacques Monestier, le grand maître d’oeuvre. Chaque jour, il inspecte et vérifie cette mécanique très complexe. Il contribue à faire que l’Horloge du Grand Marionnettiste reste en fonctionnement (c’est actuellement la seule oeuvre monumentale de Jacques Monestier encore en fonctionnement).
L’animation du Grand Marionnettiste
Chaque tableau est annoncé par ces phrases : « Nobles Dames, mes Seigneurs, gentils Damoiseaux, il est … heure. Voici, en douze tableaux, la très plaisante et merveilleuse histoire des Quatre Fils Aymon. »
Premier tableau, 10 heures
« En son beau palais de marbre, Charlemagne, l’empereur à la barbe fleurie, plus blanche que les pommiers en fleurs, a rassemblé toute sa cour pour l’adoubement de quatre jeunes chevaliers, les fils du Duc Aymon d’Ardenne : Renaut… Allard… Guichard… et Richard. »
Deuxième tableau, 11 heures
« Au centre d’une verdoyante clairière, Oriande, la reine des fées, plus belle que le jour naissant, offre à Renaut, son filleul, le cheval le plus magnifique qui se fut jamais vu : le cheval fée Bayard, au grand et merveilleux pouvoir. »
Troisième tableau, 12 heures
« Renaut se mesure au noble jeu des échecs avec le neveu de Charlemagne, Bertholais, jeune chevalier au cœur mauvais et à l’œil jaloux.
Blême de colère, Bertholais refuse de perdre : il insulte et frappe Renaut. Mais Renaut, ardennais au sang vif, lui fracasse la tête d’un grand coup d’échiquier.
Les voûtes de la salle résonnent du bruit de cette mort annoncée par mille bouches à la fois. »
Quatrième tableau, 13 heures
« Bayard, le cheval fée, survolant monts et vallées, emporte les quatre chevaliers bannis qui fuient la colère de l’empereur.
Parvenus en notre beau pays d’Ardenne, sur un énorme rocher abrupt, au confluent de la Meuse et de la Semoy, ils élèvent une impressionnante forteresse : « Château-Renaut ».
Entouré de solides murailles, d’eau profonde et bouillonnante, et d’une impénétrable forêt, Renaut et ses frères se sentent à l’abris du courroux de Charlemagne. »
Cinquième tableau, 14 heures
« L’empereur, plein de dépit, se demande en quelle mystérieuse retraite les Quatre Fils Aymon échappent ainsi depuis sept ans à ses recherches.
Arrive à la cour un pélerin de Saint Remacle qui raconte naïvement comment il a vu s’élever en Ardenne la magnifique citadelle du Chevalier Renaut.
Charlemagne récompense le pèlerin, tout ébahi de tant de générosité, et aussitôt convoque tous ses vassaux pour attaquer le repaire des quatre rebelles. »
Sixième tableau, 15 heures
« Après de longues marches, l’immense armée est arrivée en la forêt d’Ardenne. Devant un tel château, si bien protégé, le siège pénible s’est prolongé.
Embrasée par un traître, la forteresse a rejeté les quatre frères et cent fidèles chevaliers dans l’épaisse forêt.
Seul à connaître ce rude pays, le cœur plein de tristesse, leur père, le vieux duc, à la tête de mille chevaliers, les poursuit, par obéissance à son suzerain l’empereur.
Enfin vient le combat : ce ne sont que lances rompues, écus troués, têtes tranchées, bras coupés, chevaliers jetés à terre… les corps s’amoncellent. Bientôt, malgré leur vaillance, écrasés par le nombre, Renaut, ses frères et quinze survivants ne peuvent plus que fuir et fuir encore. »
Septième tableau, 16 heures
« Avec leurs quinze chevaliers, Renaut et ses trois frères restent cachés dans la forêt.
Printemps, été, automne passent ainsi, mais avec l’hiver reviennent les privations ; leurs compagnons meurent un à un de misère.
Seuls les quatre frères, plus robustes, résistent. Mais sous la pluie, la neige et le vent, ils deviennent maigres, velus comme des ours, la peau plus noire que l’encre, hideux à voir.
Malgré Bayard qui leur donne son sang, l’épuisement les force à quitter la forêt pour atteindre en secret le château paternel. »
Huitième tableau, 17 heures
« Renaut… Allard… Guichard… et Richard ont refait leurs forces auprès de leur mère, la duchesse Aude. Sur ses conseils, ils partent offrir leurs services au roi Ys de Gascogne pour le défendre contre les Sarrasins.
Renaut provoque leur chef en combat singulier : les coups tombent dru comme grêle, mais ceux de Renaut sont plus vigoureux. L’écu du sarrazin vole en éclats, laissant la cotte de mailles grande ouverte. Renaut est victorieux. »
Neuvième tableau, 18 heures
« Pour remercier Renaut de son aide, le roi Ys lui donne en mariage sa sœur Aléis, plus vermeille que rose, plus blanche que neige et plus tendre que rosée du matin.
La naissance de beaux jumeaux, Aymonet et Yonet, vient combler leur union et sur un roc entre Garonne et Dordogne, site rêvé pour une forteresse, Renaut établit le nouveau château familial «Montauban. »
Dixième tableau, 19 heures
« A nouveau Charlemagne retrouve la trace des exilés, mais après bien des luttes et un long siège encore, l’empereur au grand soulagement de tous ses vassaux, accorde la paix aux quatre chevaliers. Renaut, Allard, Guichard et Richard lui renouvellent leur hommage.
Désormais Renaut veut combattre pour Dieu seul. Il part en Terre Sainte. »
Onzième tableau, 20 heures
« Revenu de Terre Sainte, Renaut abandonne les armes. Il désire maintenant ne plus songer qu’à son âme.
Appuyé sur son bâton de pèlerin, il arrive à Cologne où l’on construit avec ardeur une nouvelle cathédrale.
Dans l’humble tâche de portefaix, Renaut met tant de force et de vaillance que, par admiration, on le surnomme l’Ouvrier de Saint Pierre.
Mais des traîtres jaloux lui fracassent le crâne et jettent son corps dans le Rhin. »
Douzième tableau, 21 heures
« Tous les poissons du Rhin remontent le corps de Renaut, « l’Ouvrier de Saint Pierre » à la surface du fleuve et le maintiennent au-dessus de l’eau, entouré de cierges allumés, tandis que des anges chantent l’office des morts.
A tous ceux qui avec patience ont ouï cette histoire, que Dieu daigne, comme à Saint Renaud, accorder une bonne fin. »
Le Grand Marionnettiste, horloge monumentale à automates a été conçue et réalisée par Jacques Monestier.
Voix de Michel Etcheverry.
Rideau en trompe l’œil de Joël Moulin.
Réalisation du castelet Jean-Louis Rivière.
Ont participé très activement à la réalisation et mise en place de ce monument : Clothilde Prévost, Mathias Prévost, Andy Lemercier, Marie Janteur, Jean-François Bissonnet.
Qu’ils en soient tous ici remerciés.
Sources
Le Musée de l’Ardenne Place Ducale Charleville-Mézières
Jacques Monestier Le Grand Marionnettiste La légende des Quatre Fils Aymon 1991 par l’imprimerie Union-Paris
Archives Départementales de la Côte-d’Or
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