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La fontaine Ducale à Charleville

La Fontaine Ducale de Charleville (1626 – 1899)

Le 6 mai 1606 Charles de Gonzague, duc de Nevers, duc de Rethel, prince d’Arches, prince de Porcien (il sera duc de Mantoue et de Montferrat en 1631), signe l’acte de fondation de sa ville. 
Le 23 avril 1608, il déclare : « son vouloir et intention est que lieu auparavent appelé Arches en sa Souveraineté d’Arches, fût maintenant et désormais appelé Charles-Ville. » 

Pour alimenter cette nouvelle ville en eau, les quelques sources du village d’Arches sont utilisées et des puits sont creusés, comme notamment : 

  • le puit public de la rue Notre-Dame (Vaudidon)
  • le puit public de la rue de la Vierge
  • le puit public de la Cour de la Neuville
  • le puit public dans la rue Bourbon ou Petite-Rue

Vers 1623/1624, le pont du Mont-Olympe (pont de Montcy Saint-Pierre) est livré à la circulation. On profite alors de ce pont pour y faire passer des buses en bois. 
A compter de ce moment, les sources du Mont-Olympe, de Montcy Saint-Pierre et de Bertaucourt sont abondamment utilisées.

Ancien tuyau en bois
Ancien tuyau en bois

C’est en 1626 qu’il est décidé d’établir une fontaine sur la Place Ducale :

« Fut présent en sa personne honneste homme Guillaume Tabaguet, marchand demeurant à Dinan et recognut par ces présentes que le sixième jour du mois d’octobre mil six cens vingt six, il auroit faict marché de fournir pour Son Altesse, entre autres choses ung grand bassin de jaspe de Gosné (Gochenée, province de Namur)… »
Les travaux sont confiés à Guillaume Tabaguet pour la réalisation d’un grand bassin carré de 4,26m et 0,91m de hauteur, sur ses côtés quatre demi-vasques ou cuves de même hauteur, au centre sur un piédestal, une vasque de 1,80m ornée de quatre mufles de bronze doré crachant l’eau, enfin au centre, un second piédestal où poser une figure. L’ouvrage est effectué durant l’année 1630. 
Pour sa composition, Charles de Gonzague s’est inspiré des fontaines qui ornent plusieurs villes d’Italie et d’Espagne. 

L’un des tout premier à évoquer cette nouvelle fontaine est le chartreux et historien du Mont-Dieu Dom Ganneron (vers 1590-1668) dans ses Centuries du Pays des Essuens. Après avoir décrit la fondation de la ville, il écrit :

« Au milieu, il y a la grande Place Ducale enrichie de vingt quatre beaux pavillons et de quatre grands dômes et du palais ducal ; et au milieu de ladite place, il y a un grand bassin de marbre pour la fontaine. »

La première fontaine
Dessin E. Petitfils dans La Fontaine ducale et l'Eau à Charleville
La première fontaine. © Dessin E. Petitfils dans La Fontaine ducale et l’Eau à Charleville

La fontaine pour son alimentation en eau, nécessite de nombreux travaux d’entretien : les tuyaux en bois se dégradant rapidement. 
En 1641, un tuyau d’un nouveau type, en plomb, est posé sous la cuve en remplacement du tuyau de bois existant : il est payé 6 livres à Didier Robert maître maçon :

« pour avoir démonté les pierres du grand bassin de la place, pour poser les barres de fer et le tuyau de plomb, retailler lesdites pierres pour loger la pomme de plomb et tuyaux et reposer lesdites pierres avec un bon siman. »

L’année suivante, on fait repeindre et dorer les ornements de la fontaine. 
Le 24 juin 1653, un contrat d’entretien de dix ans est passé auprès de Jean Greuze, il doit :

« faire couler ladite fontaine en sorte que le bassin de la place soit remply d’eaüe en tous tems, la bien entretenir, y exécuter toutes réparations nécessaires, en un mot rendre, à l’expiration de son marché, le tout en bon et suffisant estat. » 

Le 15 juin 1655, suite au décès de Jean Greuze, un contrat aux termes identiques est signé avec François Cercelet pour une durée de huit années. 

Bien que constamment entretenue, la fontaine nécessite de nombreuses réparations. C’est le cas encore en 1685 :

« Le bassin de la grande fontaine de la ville étant fort défectueux et brisé, notamment le coin qui regarde l’hôtel de ville, de même que le fond, il sera procédé incessamment à sa réparation. »

Un devis est dressé le 25 octobre 1685 pour ce travail. 

En 1701, un nouveau contour en bois est installé en remplacement de l’ancien « complètement pourri. » Ces barrières munies de tourniquets ont pour but d’empêcher de faire boire chevaux ou autres bestiaux dans la fontaine. 
Il est à noter également que malgré les interdictions, de nombreuses ménagères lessivent leur linge autour de la fontaine, formant des retenues alimentées par le trop-plein. Elles ont même fini par établir des tuyaux dans les flancs du réservoir. 

Lors de la visite début mai 1704 de Son Altesse Sérénissime Monseigneur le Duc de Mantoue Charles II de Mantoue, petit-fils de Charles de Gonzague, « qui avoit depuis longtemps médité un voyage en France » et déclaré que son intention « estoit de passer en ceste ville et mesme d’y séjourner quelques jours », la fontaine reçoit les honneurs du feu d’artifice. 

Et pourtant, en septembre de cette même année, on s’aperçoit que le bassin :

« tombe en ruine et ne peut plus contenir l’eau qui coule des quatre tuyaux, ce qui incommode le public pour puiser l’eau. » 

Une reconstruction en pierre de Saint-Menge est décidée le 17 avril 1706. Le 24 avril suivant, les travaux sont adjugés à Jean Collinet et reçus le 21 octobre. Cette fontaine ne possède pas de vasque dans sa partie supérieure. 

La fontaine, seconde version
Dessin E. Petitfils dans La Fontaine ducale et l'Eau à Charleville
La fontaine, seconde version. © Dessin E. Petitfils dans La Fontaine ducale et l’Eau à Charleville

Neuf ans plus tard, le bassin en pierre de Saint-Menges doit être reconstruit :

« l’eau qui sort par les quatre robins ne peut plus être maintenue, les pierres sont entièrement brisées. » Les travaux sont effectués par Thierry Effleur, marbrier à Dinant. Le procès-verbal de réception daté du 25 juin 1717 par Nicolas Dentremeuze, voyer de la ville (celui qui a la charge de la voirie) et Jean Benissein, architecte, indique que « le bassin est formé de douze pierres et qu’il a 15 pieds hors d’oeuvre (environ 4,5m), y compris les oreillons de 5 pieds sur 2 pieds et demi, ciselé et tout l’extérieur parfaitement poli au dernier gré. » 


Il y a deux séries de marches au pourtour. Sur l’ancien piédestal en pierre de Saint-Menge qui a été conservé, « estant bien éprouvé, est une pierre de jaspe à laquelle il y a quatre mufles dorés. » Ce sont ceux qui existent sur l’ancienne fontaine. 

Une nouvelle balustrade en chêne dans laquelle se trouvent quatre tourniquets de charpente faits en croix pour empêcher les animaux d’y entrer est reconstruite. 
En 1812, cet entourage en bois sera remplacé par un entourage en fer reconstruit à l’identique.

Reconstitution de la fontaine au XVIIIe siècle
Alain Sartelet dans Charleville au temps des Gonzagues Ed. Musée de l'Ardenne
Reconstitution de la fontaine au XVIIIe siècle.
© Alain Sartelet dans Charleville au temps des Gonzagues. Ed. Musée de l’Ardenne

Lors des fêtes données en 1736 à l’occasion de la naissance du prince de Condé, une décoration monumentale est de nouveau établie sur la fontaine pour y tirer un feu d’artifice. 
Il en sera de même dans les années suivantes, comme en 1772 pour la venue cette fois du prince de Condé, où elle se retrouve changée en un édifice superbe : un temple de plan octogone à quatre faces principales et quatre retours, le tout décoré de colonnes, de médaillons recevant les emblèmes et devises relatives à la fête. 

Vers 1780, Jean-Baptiste Raucourt, libraire-imprimeur plaçait le dessin de la Place Ducale avec le Palais ducal et son arche, la fontaine et son enceinte de bois, sur le frontispice des ouvrages qui sortaient de ses presses de la rue du Moulin.

Frontispice de Jean-Baptiste RAUCOURT
Frontispice de Jean-Baptiste RAUCOURT

En 1821/1822, la fontaine devient miraculeuse sous la volonté de Madame Milfort qui faisait le métier de guérir les malades de toute sorte qui imploraient sa protection. Elle recevait à son domicile, sous les Allées. Au sortir de ses audiences, les pèlerins devaient se rendre à la fontaine de la grande place pour se tremper la figure dans le bassin, boire quelques gorgées d’eau et en emplir des bouteilles pour les emporter chez eux. Parfois, elle accompagnait ses malades, et cela pouvait donner des scènes plus ou moins cocasses, dont celle d’un prétendu paralytique qui se remit à marcher dès qu’il eut touché l’eau ! Madame Milfort fut arrêtée, jugée et condamnée à deux ans de prison. 
Cet épisode est raconté par Jean Hubert dans Mélanges d’histoire ardennaise

Jean Hubert Mélanges d'histoire ardennaise
Jean Hubert, Mélanges d’histoire ardennaise

En 1844, le bassin de la fontaine ducale est inutilisable. L’idée surgit de supprimer purement et simplement la fontaine car à ce moment, il n’y a pas d’argent pour une réparation d’envergure. Le seul et unique argument pour sa conservation est que c’est l’endroit où passe l’alimentation en eau du lavoir du moulin ! 

Dans un rapport daté du 14 septembre 1844 :

« la grille de l’enceinte, les puisards du bassin et les longs ajustages des bouches d’eau formaient un ensemble que l’ancienne destination de cette fontaine pouvait motiver jusqu’à un certain point ; mais depuis l’établissement des bornes d’eau à travers la ville, rien ne justifierait une restauration qui consacrerait le maintien de ces dispositions bizarres. » 

C’est donc en conformité avec ce rapport que la vasque centrale est conservée. Un bassin circulaire en ciment de Vassy est construit ainsi qu’un trottoir en dalles monolithes de Saint-Laurent. La balustrade du pourtour disparaît pour faire place à quatre modestes bornes en pierre de Givet.

Carte postale de la fontaine de 1844. Une des dernières photographies de cette fontaine
Collection Ardennes, toujours…
Carte postale de la fontaine de 1844. Une des dernières photographies de cette fontaine.
Coll. Ardennes Toujours

Cette fontaine ne connut pas les fêtes et les décorations grandioses de ses aînées, mais chaque année, à l’occasion de la fête de Saint-Rémi, la jeunesse goûtait autour d’elle les plaisirs de la danse. Grace à d’ingénieux systèmes, elle pouvait être transformée en orchestre et servir le soir à l’heure du bal, de motif principal à l’éclairage de la place. 

Cette fontaine cédera sa place en 1899 à la Fontaine Monumentale érigée en l’Honneur de Charles de Gonzague. 
Des fragments de l’ancienne fontaine ont été préservés et furent remontés dans la cour de l’ancien musée de Charleville, rue de l’Arquebuse. Ils sont aujourd’hui dans la cour du Musée de l’Ardenne, Place Ducale.

Ancienne fontaine préservée dans la cour du Musée de l'Ardenne
Ancienne fontaine préservée dans la cour du Musée de l’Ardenne
© Photo Ardennes Toujours

Dans les années 1980, la municipalité de Charleville-Mézières menée par Roger Mas, avait envisagé de créer une fontaine, ou plutôt d’installer l’ancienne fontaine de la Place Ducale, au croisement des rues Bourbon et de la République, toutes deux piétonnes. De nos jours, on voit des pavés de couleur différente sur une surface octogonale, correspondant à l’emplacement prévu. Le bar le plus proche avait même anticipé la chose puisqu’il prit le nom La Fontaine (nom qu’il garde encore aujourd’hui). 
Finalement, le trop mauvais état de la fontaine pour sa remise en eau a fait capoter le projet.

La Fontaine monumentale de Charleville (1899 – 1999)

Madame Payer-Guillemain, sans enfant, riveraine de la Place Ducale (elle habitait au bas de la Grand’Rue) décède le 19 février 1895. 
Par testament en date du 1er mars 1886, elle fait de Charleville sa légataire universelle pour ériger une belle fontaine sur cette place. Elle écrit :

« Ma vue s’offusque lorsque de ma fenêtre elle se porte sur cette mesquine fontaine qui de tout temps a été écrasée par la beauté de cette vaste place (…) Toute mon ambition consiste à parer mon vieux berceau gaulois d’une belle et riante fontaine, qui tout en charmant les coeurs, égaiera l’esprit de ses habitants. »

Extrait de l'acte de décès de Madame Payer-Guillemain
Archives Départementales des Ardennes
Extrait de l’acte de décès de Madame Payer-Guillemain.
Archives Départementales des Ardennes

« L’excellente dame exprimait le sentiment général et a mis la ville en situation de réaliser un projet qui était dans la pensé de tous (…) une statue a paru indispensable pour surmonter cette magnifique fontaine. »

Extrait du discours d’inauguration de Monsieur Bouchez-Leheutre, maire de Charleville. 

La liquidation des biens de Madame Payer-Guillemain devant revenir à la ville s’élevait à 56 000 frs. N’ayant pas d’héritier direct, des parents menacèrent la ville de procès. La municipalité accepta malgré tout un compromis par lequel les héritiers abandonnaient 25 000frs et acquitaient les droits de succession. Il restait donc à la ville au 1er décembre 1898 la somme de 26 584 frs (avec les intérêts). 

Annonce d'un don de 50 000 francs à la ville de Charleville
Journal "Le Petit Ardennais" 20 février 1895
Annonce d’un don de 50 000 francs à la ville de Charleville.
Journal Le Petit Ardennais 20 février 1895

Une commission spéciale est créée. Elle se compose du maire M. Bouchez-Leheutre et ses adjoints, de MM. Blairon, Egrot, Paul Gailly et Parent conseillers municipaux ; MM. Bésinger professeur de dessin, Boucher membre de l’Union Artistique des Ardennes et de la Commission des Musées, Bunoust secrétaire de l’Union Artistique ; MM. Colle, Damas, Gondrexon, Noël, Prévost artistes-peintres ; M. Deville ingénieur-industriel ; M. Peltier-Dapremont sculpteur ; M. Petitfils architecte de la ville ; M. Racine ancien architecte départemental et président de l’Union Artistique ; M. Rigaux ingénieur en chef des Ponts et Chaussées. 

Le 19 février 1898, le conseil municipal confie le projet à Monsieur Elysée Petitfils, architecte de la ville de Charleville et Monsieur Alphonse Colle, sculpteur. 
L’artiste présente plusieurs études de statue et le conseil municipal du 14 mars 1899 adopte la résolution :

« La statue aura l’attitude fixée par la maquette qu’a présentée Monsieur Colleet que la Commission et le conseil municipal ont acceptée. Charles de Gonzague devra être représenté debout, tenant une canne de la main gauche et un plan de la main droite. Il aura son épée au côté. »

Devis présenté pour la totalité de la fontaine
Almanach Matot-Braine 1900
Devis présenté pour la totalité de la fontaine. Almanach Matot-Braine 1900

Le devis présenté s’élève à 47 300frs, le leg de Madame Payer-Guillemain représentant 26 584frs (intérets compris), la municipalité vote sans hésitation le versement des 20 716frs manquants. 

Ils sont quatre à avoir uni leurs compétences pour la réalisation de ce monument : 

  • Elysée Petitfils, architecte de la ville de Charleville qui a conçu la fontaine proprement dite, le socle, la vasque, les effets d’eau et qui supervise l’ensemble des travaux 
  • Alphonse Colle, sculpteur carolopolitain, créateur de la statue de Charles de Gonzague, des enfants sur les dauphins et des têtes de lion 
  • L. Gaudinot, fondeur à Charleville 
  • Peltier-Dapremont, marbrier-sculpteur à Charleville, entrepreneur de la fontaine. 

Le monument est en granit des Vosges et en bronze. Il se compose d’un bassin circulaire de 11m de diamètre, duquel émergent huit vasques de différentes grandeurs et un socle flanqué d’ailerons de 6,20m de hauteur. La statue de Charles de Gonzague mesure 3,50m de hauteur. 

Les travaux débutent au mois de juin 1899 par le démontage de l’ancienne fontaine. Les parties non endommagées sont préservées ; elles seront remontées dans la cour de l’ancien musée de Charleville, rue de l’Arquebuse (puis actuellement dans la cour du Musée de l’Ardenne Place Ducale à Charleville-Mézières). 

Le 19 août 1899 à cinq heures du soir, dans une pierre du soubassement du futur monument, M. Antoine, conseiller municipal entouré de plusieurs de ses collègues, dépose une boite en plomb dans laquelle on a pris soin d’insérer la plaque d’inscription et quelques pièces de menue monnaie du millésime 1899.

Plaque d'inscription déposée dans une pierre du soubassement
Plaque d’inscription déposée dans une pierre du soubassement

Fin septembre 1899 quatre réverbères (élairage au gaz) sont scellés aux quatre angles du monument. Les consoles en forme de chandelier ont été dessinées par M. Elysée Petitfils. Elles sont du styles  Louis XIII et ont été fondues par la maison Deville, Paillette et Cie de Charleville. 

Fin septembre voit aussi l’arrivée à Charleville des dauphins et têtes de lion qui doivent orner la fontaine. Ils sont stockés dans une grande salle à la Manufacture.

« Les dauphins mesurent 1,20 m de haut et 1,30 m de long. Ils sont au nombre de quatre et seront placés aux angles de la fontaine. 
Ils sont montés, deux par un joli petit garçon et deux par une gracieuse fillette. Ils sont l’oeuvre de notre ami Alphonse Colle, le sculpteur carolopolitain si apprécié, auteur de la statue de Charles de Gonzague. Ils ont été fondus à l’usine du Val d’Osne. Ces dauphins ont vraiment belle tournure ; le dessin en est à la fois gracieux et hardi. (…) Ces dauphins sont en bronze vénicien. Ils lanceront l’eau par les narines – verticalement – et par la bouche dans les vasques
. »

Le Petit Ardennais du 27 septembre 1899.
Fonderie du Val d'Osne en Haute-Marne et dont le siège social est à Paris
En-tête de facture et signature sur le côté d'un dauphin de la fontaine.
Fonderie du Val d’Osne en Haute-Marne et dont le siège social est à Paris En-tête de facture et signature sur le côté d’un dauphin de la fontaine. Coll. Ardennes Toujours

C’est le samedi 14 octobre, dans l’après-midi, que les quatre têtes de lions et les quatres dauphins sont installés au pourtour de la fontaine. Les garçons brandissent une plante marine tandis que les fillettes tiennent les rênes des dauphins. 
On profite de ce moment pour enlever l’échaffaudage qui entourait le chantier, puis effectuer quelques menus travaux de bétonnage afin d’armoniser l’ensemble.

Les têtes de lion et les dauphins montés par les enfants.
Les têtes de lion et les dauphins montés par les enfants. © Photo Ardennes Toujours

La statue de Charles de Gonzague qui domine l’édifice est coulée et assemblée dans la fonderie de M. Gaudinot rue de l’Abreuvoir à Charleville. 

« La statue de Charles de Gonzague duc de Nevers, fondateur de Charleville, mesurera exactement 3,60m de hauteur. Son poids total est de 2051 kilogrammes.(…) 
Le moulage des différentes pièces fut principalement l’oeuvre d’un jeune Carolopolitain, ancien apprenti de la maison  Gaudinot, M. Daugenet fils ; le montage et l’assemblage des pièces fut confié au contre-maître de la maison et aux ouvriers, tous Ardennais. 
Les travaux ont commencé au mois de mai et la dernière pièce fut coulée le 19 septembre. Le montage se faisait au fur et à mesure de la fonte. Ceci explique comment la statue a pu être terminée aujourd’hui.
 » 

Le Petit Ardennais du 29 septembre 1899

Ce type de moulage est dit à la romaine : c’est un procédé traditionnel en fonderie d’art qui consiste à couler la statue par petits morceaux et à les assembler ensuite par soudure. Les avantages : permettre de simplifier le travail du fondeur en évitant les parties en difficultés de moulage et la possibilité de couler des pièces plus minces avec moins de défauts de surface et permettre une économie de matière. 

Dessin de Tristan de Pyègne, alias Charles Bosseux (1860-1915)
La Vie Ardennaise illustrée du 2 au 9 septembre 1899
Dessin de Tristan de Pyègne, alias Charles Bosseux (1860-1915) La Vie Ardennaise illustrée du 2 au 9 septembre 1899

La statue de Charles de Gonzague couchée sur un camion de M. Préaux est amenée sur la Place Ducale le mercredi 11 octobre 1899. Devant de nombreux curieux, elle est redressée ; elle s’élève ensuite dans les airs, le regard tourné vers la Grand’Rue pour être définitivement issée sur la fontaine qui lui sert de piédestal. 
Elle restera voilée jusqu’au jour de l’inauguration. 

Les travaux d’achèvement de la fontaine sont menés tambours battant. La réception est faite le mardi 17 octobre par la commission municipale. L’inauguration est fixée au dimanche 22 octobre à deux heures et demie de l’après-midi. 
La veille de l’inauguration, aura lieu une retraite aux flambeaux organisée par les sociétés locales. 
A 8 heures du soir, il y aura un grand bal de nuit sur la Place Ducale avec une nouvelle illumination. 

Réception des travaux
Le Petit Ardennais du 18 octobre 1899
Réception des travaux « Le Petit Ardennais » du 18 octobre 1899

Le soleil brille en ce dimanche 22 octobre. La Place Ducale est envahie. D’innombrables oriflammes tricolores et guirlandes de verres de couleurs ornent les candélabres et les pilastres des tramways. La façade de la mairie est complètement pavoisée de drapeaux. Quelques uns flottent aussi aux fenêtres des maisons particulières elles-mêmes garnies de curieux. 
Dès deux heures de l’après-midi, le maire et la municipalité reçoivent les nombreux invités dans les couloirs et le vestibule de la mairie, puis le cortège se met en marche au son de la Marseillaise, les pompiers en armes formant la haie, et vient se placer dans l’espace libre autour duquel sont massés les sociétés et les enfants des écoles ; la place est noire de monde. 
Le voile qui recouvre la statue tombe :

« Charles de Gonzague, fièrement campé, apparaît sous les rayons d’un radieux soleil ; il sourit et semble remercier la foule ; l’oeuvre de notre compatriote, l’éminent sculpteur A. Colle, est superbe et lui fait le plus grand honneur. »

Carte-postale : inauguration de la statue de Charles de Gonzague
Carte-postale : inauguration de la statue de Charles de Gonzague. Coll. Ardennes Toujours

Monsieur Bouchez-Leheutre, maire de Charleville, prononce le discours d’inauguration dont voici des extraits :

« Depuis longtemps, la fontaine dont la place était dotée donnait lieu à des appréciations défavorables. Petite, probablement pour ne pas gêner la belle perspective des quatres grandes artères de la ville, mais réellement hors de proportion avec la place, surmontée d’un maigre fût et entourée d’un bassin sans élégance, elle était l’objet de lazzis peu respectueux. 
Tout le monde s’accordait à reconnaître la nécessité de son remplacement par une fontaine plus digne de la place. Mais il fallait l’argent (…) Madame Clotilde-Louise Guillemain épouse de Monsieur Pierre Payer décédait ici, sans enfants. 
Par un testament en date du 1er mars 1886, elle avait institué la ville de Charleville sa légataire universelle pour l’érection d’une belle fontaine sur la Place Ducale
. »

Alphonse Colle
Détail d'une caricature publiée dans La Vie ardennaise illustrée en 1898
© Alphonse Colle. Détail d’une caricature publiée dans La Vie ardennaise illustrée en 1898

Puis remerciant les artisans de cette fontaine, il ajoute :

« Obéissant à un sentiment local en dehors de toute politique, car les opinions actuelles ne sont pas celles de Charles de Gonzague, le Conseil a voulu remplir un devoir de reconnaissance envers celui qui a créé et organisé de toutes pièces notre cité, rendre hommage à l’homme dont elle porte le nom. »

Après avoir retracé brièvement la vie de Charles de Gonzague, il termine :

« Il est sur cette Place Ducale qui lui était si chère, au milieu de sa ville qu’il aimait tant, et pour laquelle il a tout sacrifié. » 

Sur un signe, les robinets sont ouverts : des gueules de lions et des dauphins jaillissent de gros jets d’eau, tandis que des narines des monstres marins s’élancent deux gerbes très hautes retombant en perles scintillantes. 
La musique reprend, les pompiers forment une haie d’honneur et le cortège prend le chemin du théâtre pour le solennel vin d’honneur.

Carte-postale Fontaine Ducale de nuit
Carte-postale Fontaine Ducale de nuit. Coll. Ardennes Toujours

Charles de Gonzague et sa fontaine resteront un siècle sur cette place, traversant les deux Guerres mondiales sans encombres. 
En effet, durant les deux conflits, les occupants qui ont systématiquement réquisitionné villes et villages afin de récupérer toute trace de bronze pour en fondre de la mitraille n’ont pas touché à la statue de Charles de Gonzague. 
De 1914 à 1916, l’armée allemande choisit Charleville pour installer son état-major et son grand quartier général tandis que l’empereur Guillaume II établit sa résidence à Mézières. Il est permis de supposer que la présence du Kaiser et de son fils le Kronprinz a joué en la faveur de Charles de Gonzague.

Carte-postale L'Empereur Guillaume II, son épouse et son fils ainé le Kronprinz à Charleville
Carte-postale L’Empereur Guillaume II, son épouse et son fils ainé le Kronprinz à Charleville. Coll.Ardennes Toujours

Pour ce qui est de la seconde Guerre mondiale, il faut se rapprocher d’Albert Speer, architecte en chef du parti nazi, ami et ministre de hitler (Speer sera condamné à vingt ans de prison à Nuremberg et libéré en 1966). 
Hitler se rend à Charleville afin d’y rencontrer Von Rundstedt en 1940. Peu de temps après, Albert Speer lui expose comment un prince italien a pu construire cette ville. Très interessé, le Führer organise sa seconde rencontre avec Von Rundstedt sur la Place Ducale à Charleville, au coeur de la cité. Par la suite, toujours selon Albert Speer, il demande que la statue du fondateur de la ville soit préservée. C’est ainsi que disparurent les bustes de Arthur Rimbaud, Gustave Gailly, entre-autres, les boeufs et le bouvier du monument le Défrichement… mais pas Charles de Gonzague. 

La nouvelle fontaine Ducale et le déplacement de la statue de Charles de Gonzague (1999 à aujourd’hui)

Lors de sa séance du 9 décembre 1996, le Conseil Municipal de Charleville-Mézières adopte une première ébauche d’un projet destiné à l’aménagement des quartiers périphériques de la ville, et présente une réflexion sur le devenir du Centre Ville. 

Le Projet de Ville Thétis proposé en juin 1997 par la municipalité de Charleville-Mézières menée par Roger Mas, puis par Louis Auboin (à partir de mai 1998) en précise les objectifs :

  • développer l’activité commerciale en centre ville
  • remettre en valeur le patrimoine historique et architectural de la ville
  • renforcer l’attractivité touristique du centre ville
  • conjuguer accessibilité et attractivité du centre
  • développer l’activité culturelle du centre
Logo du Projet de Ville Thétis
Photo Journal municipal Charleville-Mézières
Logo du Projet de Ville Thétis. © Photo Journal municipal Charleville-Mézières

Il s’articule alors autour de ces sept points :

  • aménagement de la Place Ducale
  • aménagement de la rue du Moulin
  • aménagement des Quais Rimbaud et Charcot
  • piétonnisation de la rue Bérégovoy
  • création d’un parking paysager Blairon
  • redéfinition du stationnement sur voirie
  • aménagement du bois du Mont-Olympe
Couverture du dossier de présentation du Projet de Ville
Dessin Olivier Gobé pour la ville de Charleville-Mézières
Couverture du dossier de présentation du Projet de Ville.
© Dessin Olivier Gobé pour la ville de Charleville-Mézières

En ce qui concerne la Place Ducale et le monument à Charles de Gonzague, la proposition est la suivante : 

« Aménagement de la Place Ducale visant à restituer la place à ses fonctions et dans son aspect initial. Cet aménagement est réalisé en accord avec l’Architecte des Bâtiments de France, sous maîtrise d’œuvre de l’archtecte en chef des monuments historiques et après validation du projet par le comité scientifique créé à cet effet. 
Il va d’une part étendre le domaine réservé aux piétons, permettre aux cafés et restaurants des arcades d’installer leurs terrasses sur la place, rendre plus visible l’axe Nord Sud depuis la rue Bérégovoy jusqu’au Vieux Moulin en déplaçant la statue de Charles de Gonzague du centre de la place au carrefour de la rue Bérégovoy avec le boulevard Gambetta. A ce nouvel emplacement il constituera un signal visible depuis la sortie nord du square de la gare et le cours Aristide Briand. 
Son coût est évalué à 16,5 M.F. H.T. 
Sa réalisation doit s’étendre de Septembre 1998 à Juillet 2000
 » 
(dossier de demande de subvention) 

Ce chantier de restauration du coeur historique de Charleville-Mézières est subventionné à 60% par les collectivités territoriales (Département, Région), l’Etat et le FEDER (Fonds Européen de Développement Economique Régional). 

Fiche de synthèse n° 1 du Projet de Ville : Aménagement de la Place Ducale
Fiche de synthèse n° 1 du Projet de Ville : Aménagement de la Place Ducale

« Que la Place Ducale retrouve au plus vite l’aspect voulu par son fondateur. Cela sera un atout pour l’Histoire, donc pour le tourisme et l’activité. Eliminons les ajouts successifs : panneaux, enseignes lumineuses, asphalte, trottoirs… Grattons le palimpseste, admirons enfin l’œuvre originelle de Clément Métezeau. Le plus bel hommage que l’on puisse rendre aux fondateurs Gonzague et  Métezeau est de restaurer leur œuvre afin de rétablir l’éclat du premier jour. Replaçons les pavés et rigoles d’antan, les enseignes et lanternes en fer forgé… 
La patine du Grand Siècle est à portée de main, il suffit de le vouloir. La Renaissance de la Place Ducale passe par le déplacement de la statue de 1899 et la réhabilitation de la Grande Fontaine Ducale voulue en 1626 par le père de Charleville
. »

L’historien Gérald Dardart dans le Journal municipal de septembre 1998 de la ville de Charleville-Mézières. 
La statue de Charles de Gonzague cache le Vieux Moulin
La statue de Charles de Gonzague cache le Vieux Moulin.
© Photo Ardennes Toujours

Quant à la perspective du Musée Rimbaud, elle se trouvait masquée par la hauteur de la statue de Charles de Gonzague. La requalification patrimoniale de la Place Ducale et sa restauration justifiait que la fontaine monumentale du XIXe au coeur d’une place du XVIIe soit déplacée. 
Les élus ont choisi de respecter le souhait de l’Inspection des Monuments Historiques quant au déplacement de Charles de Gonzague. 

Le vendredi 2 avril 1999 à 9 heures, sous les yeux du maire Louis Auboin et de nombreux badauds, la statue de Charles de Gonzague est déboulonnée. 

« Il faut replacer le sujet à de justes proportions, éviter les excès dans un sens ou dans l’autre. Il n’y a pas matière à une révolution carolomacérienne »

explique le maire Louis Auboin qui ne cache pas l’ampleur des réaction enregistrées :

« Nous avons reçu beaucoup de courrier, même de personnes étrangères au département. Et j’ai été choqué de constater que le souvenir de la Place Ducale se limitait parfois à la statue. J’y suis moi-même attaché. Elle va être réinstallée quelques centaines de mètres plus loin. » 

L’Ardennais du samedi 27 mars 1999. 
Enlèvement de la statue de Charles de Gonzague
Photo G. Dieppedalle aimablement communiquée par Jean-Claude Moreau
Enlèvement de la statue de Charles de Gonzague. © Photo G. Dieppedalle, aimablement communiquée par Jean-Claude Moreau

C’est la société Ardenn’Levage de Jean-Claude Moreau qui effectue la dépose de la statue, sous la maîtrise de l’entreprise Chatignoux, adjudicataire des travaux. Le chantier a été préparé la veille avec la pose d’échafaudages. Charles de Gonzague est ensuite couchée dans une caisse et prend la direction de la région troyenne, ainsi que les dauphins de la fontaine pour un grand nettoyage chez un ferronnier d’art. 
Durant ce mois d’avril, les pierres qui forment le socle ainsi que les bassins d’eau sont démontées pièce par pièce pour être remontées en mai-juin à leur nouvel emplacement, en haut de la rue Bérégovoy toute pavée et devenue piétonne. 

L’inauguration a lieu le 9 juillet. La statue de Charles de Gonzague prend place au Point Central, nouveau centre de gravité d’une cité qui veut s’ouvrir au monde. Le fondateur de Charleville domine et symbolise le trait d’union qui lie entre-elles les anciennes cités. 

Inauguration de la Fontaine Monumentale Charles de Gonzague
Photo Journal municipal Charleville-Mézières
Inauguration de la Fontaine Monumentale Charles de Gonzague.
© Photo Journal municipal Charleville-Mézières

Pour recevoir la nouvelle fontaine, la Place Ducale est elle aussi mise en travaux pour retrouver son aspect initial, tout en étant en accord avec le mode de vie moderne. Il est décidé de réutiliser les pavés existants qui sont triés, retravaillés au besoin ou mis au rebut. Quant aux pavés neufs, ce sont nos amis belges qui les fournissent en grès d’Yvoir et sa région, les carrières de Vireux et Aubrives étant aujourd’hui fermées. 
Le stationnement des véhicules est maintenu sur la Place Ducale. 

Construction de la nouvelle Fontaine Ducale
Photo Journal municipal Charleville-Mézières
Construction de la nouvelle Fontaine Ducale. © Photo Journal municipal Charleville-Mézières

La nouvelle fontaine doit être digne de l’écrin qui l’accueille : c’est la version XVIIIe siècle de la fontaine qui est reconstruite, plus volumineuse et plus travaillée que celle du XVIIe siècle selon l’Inspection des Monuments Historiques, elle prend modèle sur les vestiges qui subsistent au Musée. 
Marbre rouge veiné de gris pour le bassin et marbre encore pour la vasque à quatre mascarons (copie de celle de 1844). Une partie de ce marbre provient de Philippeville, en Belgique encore. 
Les marches sont réalisées en pierre de Massangies (dans l’Yonne) qui ressemble à celle de Romery. 
La nouvelle fontaine est mise en eau pour les fêtes de fin d’année 1999. 

Survol de la Fontaine Ducale par drone.
Survol de la Fontaine Ducale par drone. © Photo Association Click’Arden

Sources

La Fontaine ducale et l’Eau à Charleville par E. Petitfils Libraire Editeur E. Jolly
Tiré à part du Journal Charleville-Mézières magazine N° 79 avril 2004 
Journal municipal de Charleville-Mézières années 1996 à 1999 
Jean HubertMélange d’histoire ardennaise
Alain SarteletCharleville au temps des Gonzagues Ed. Musée de l’Ardenne 
Archives Départementales des Ardennes 
Journal Le Courrier des Ardennes
Journal Le Petit Ardennais
Journal La Vie illustrée
Terres Ardennaises N° 89 
Ardennes Revue régionaliste éditée par Les Cerises aux Loups N°2 
Almanach Matot-Braine 1900 
Association Click’ Arden

Albert Capaul Place du marché à Charleville. Archives Départementales des Ardennes
Albert Capaul Place du marché à Charleville
Archives Départementales des Ardennes