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Le Vieux Moulin de Charleville

La construction

C’est le 6 mai 1606 que Charles de Gonzague décide de fonder une cité qui deviendra Charles-Ville. L’emplacement est choisi en son duché de Rethel, dans une boucle de la Meuse, juste en face de la citadelle de Mézières. Les travaux vont durer trente cinq années pour en faire une ville digne de ce nom. Dès 1608, il en fait la capitale de sa principauté d’Arches. 

Rapidement, de nombreuses maisons sortent de terre et les premiers habitants prennent possession de la ville. Il faut nourrir cette population et les moulins ne sont pas légions : deux moulins à eau construits sur le ruisseau d’Etion en 1537 et situés en dehors de la ville. Ils appartiennent en 1619 aux sieur Gilles Coulon pour l’un et Jean Deville pour l’autre. Un troisième édifice, à vent, est élevé en 1622 par Claude Baudier sur l’esplanade du bastion de Longueville. 

Tous trois appartiennent à des particuliers, or Charles de Gonzague désire pour sa ville, un moulin banal où tous les habitants devront y faire moudre leurs grains moyennant une redevance ou droit de mouture.

Carte postale Plan de Charleville au XVII siècle.
Carte postale Plan de Charleville au XVII siècle. Coll. Ardennes Toujours

On construit donc un moulin banal. L’architecte Clément Métezeau ayant quitté la ville dès 1616, c’est à Claude Briau que revient cet honneur. 

Jusqu’à ce jour, Claude Briau était considéré comme entrepreneur mais il semble bien qu’il ait dessiné les plans de ce magnifique édifice s’incluant parfaitement dans le style voulu par le créateur de la ville. L’ancien maître-maçon devient donc architecte-entrepreneur, il lui revient la construction de rues entières : la rue du Luxembourg (rue du Petit-Bois), le Saint-Sépulcre, le Couvent des Carmélites, la Porte de France. Malheureusement, aimant suffisamment l’argent, il oublie parfois de payer ses maçons ! Après quelques jours de prison, il reprend ses activités pour le Prince Charles de Gonzague… et aussi pour lui-même : il construit, revend ou loue ses maisons. Accusé de malhonnêteté dès le départ du Prince en 1629, des poursuites sont engagées à son encontre et ses biens confisqués. Il s’enfuit alors de la Souveraineté à Cons-la-Grandville. Il ne sera plus fait état de Claude Briau à Charleville. 

Le 11 avril 1626, commence la construction du moulin. Si de la place Ducale on aperçoit les Portes de France (en regardant vers Mézières), de Flandres (dans le prolongement de l’actuelle rue de Mantoue) et de Luxembourg (côté rue du Petit Bois), le moulin doit faire figure de quatrième porte. Parfois nommé Porte de Liège, l’édifice est posé sur un haut soubassement qui l’élève pour faire pendant à la Porte de France. Il fait également partie intégrante de la muraille fortifiée du quai.

Reconstitution du Grand Moulin au milieu du XVIIe siècle par Alain Sartelet
Charleville au temps des Gonzagues Edition du Musée de l'Ardenne
Reconstitution du Grand Moulin au milieu du XVIIe siècle,
par Alain Sartelet « Charleville au temps des Gonzague ». Editions du Musée de l’Ardenne

Le moulin en lui-même est constitué de deux corps joints, l’un carré à deux étages et le second en rez-de-chaussée regardant la prairie du Mont-Olympe. Sa façade donnant sur la rue est entièrement construite en pierres de Dom-le-Mesnil pour les angles et les encadrements, le remplissage étant assurer au moyen de briques. Quatre colonnes ioniques annelées renforcent l’impression monumentale de l’entrée. Les autres côtés sont un mélange de pierre de Dom et de briques. En haut du batiment, un fronton triangulaire et puis une haute toiture couverte d’ardoises à quatre pentes surmontée d’un clocheton. La partie inférieure comporte deux arches où sont logées les roues à aubes. 

On connait les artisans qui ont oeuvré sur cette bâtisse : Jean Gausson et Pierre Belart pour la maçonnerie, Jean Henri et Jean D’Entremeuze pour la charpente, Jean Jullien et Jean de Mussifet pour la menuiserie, Jacques de la Haute pour la couverture en ardoises des toitures. 

Sorti de terre très rapidement, le moulin entre en service le 6 septembre 1627. 
Les meules trouvent leur mouvement grâce à deux immenses roues à aubes, une sous chaque arche enjambant le bras de Meuse, entraînées par le courant de la rivière drainé par une batte ou digue longue de près de quatre cent mètres construite avec des pieux enfoncés dans le lit du fleuve. Au bout une chute d’eau dont le débit peut être réglé par le meunier. Les alluvions entassés au long de cet épis ont donné naissance à l’île formée derrière le moulin. 

Etaient également prévues dans le moulin la machine et les pompes destinées à l’alimentation en eau des bassins et fontaines du futur Palais Ducal qui, faute de financements, ne vit jamais le jour. 

Albert Capaul (1827-1904) Quai et moulin de Charleville 13 juin 1886
Archives Départementales des Ardennes
Albert Capaul (1827-1904) Quai et moulin de Charleville 13 juin 1886.
Archives Départementales des Ardennes

Les tout premiers meuniers installés par baux sont Nicolas Watelet et Raoul de la Croix. Suivront entre autres : Gautier Gentier, Thomas Petit, Henri Nonnon… Antoine Payer.

L’incendie

Le soir du 2 juillet 1754, Antoine Payer, meunier, arrête les meules vers dix heures. Sa visite du grand moulin terminée, il part se coucher ainsi que son domestique. Aux alentours de onze heures trente, son épouse et lui-même se sont réveillés en suffoquant à cause d’une énorme fumée. Ils réalisent que le moulin est en flammes et ont juste de temps d’attraper leurs enfants et de sortir, indemnes. Leur domestique ayant lui aussi réussi à s’échapper. 

Le 3 juillet au matin, afin d’établir le procès verbal du sinistre, Christophe-Louis Dumesnil, écuyer, sieur de Chamblage, lieutenant général civil et criminel au bailliage de la principauté, accompagné des procureur et avocat généraux fiscaux et du sieur D’Entremeuze, voyer :

« se sont transportés sur les lieux pour en reconnaître l’état et faire toutes les perquisitions nécessaires pour tâcher de découvrir comment le feu y avait pris, le soir d’hier vers les onze heures trois quarts du soir, sans qu’il ait été possible d’y apporter le moindre secours par sa violence et la rapidité de ses progrès, ainsi que nous l’avons remarqué par nous-mêmes en ayant été les tristes témoins pendant toute la nuit. » 

Un religieux qui se trouvait à la pêche sur la rive droite de la Meuse déclare avoir vu d’abord :

« sortir par les fenêtres une fumée épaisse, bientôt suivie de flammes épouvantables qui montant jusqu’au faite de la couverture, l’avaient en un instant enflammée et gagné la couverture du grand pavillon, qui en un autre instant lui avait également paru en flammes. » 

Selon toutes les dépositions recueillies, il n’y a pas la moindre explication sur la cause du départ de l’incendie, mais tous les témoignages s’accordent sur le fait que le feu a commencé dans la partie nord de l’édifice qui fait face au Mont-Olympe et que les flammes ont gagné l’ensemble des bâtiments avec une extrême rapidité. 

Le bilan s’avère très lourd pour la meunerie :

« Nous avons constaté que de ce bel édifice qui renfermait les moulins banaux, il ne reste presque rien que la carcasse de pierre, qui nous a paru même fort endommagée par le haut. »

Élément indispensable à la vie économique de la ville, la réédification du grand moulin débute aussitôt après l’incendie. Les planchers et toitures sont reconstruits à l’identique, à l’exception du clocheton qui n’est pas été reconduit. Elle s’achève vers le mois de novembre 1756 et le meunier peut alors reprendre ses activités. 

Le Moulin de Charleville
Huile sur toile par Crancé Fin XVIIIe siècle
Musée de l'Ardenne
Le Moulin de Charleville Huile sur toile, par Crancé Fin XVIIIe siècle. Musée de l’Ardenne

La période privée

La loi du 2 novembre 1790 attribue à l’État la propriété des biens de l’Église et de la Noblesse. Ces biens appelés Bien nationaux sont mis en vente par adjudication. En 1792, ces réquisitions s’appliquent aussi aux biens des émigrés. Or, depuis 1709, la Principauté de Charleville est rattachée au Parlement de Paris et au Royaume de France sans qu’elle perde pour autant ses privilèges. 

À cette époque donc, Charleville est encore une possession du Prince de Condé Louis-Joseph Bourbon (1736-1818). Celui-ci quitte la France le 17 juillet 1789 avec sa famille et se retire à Bruxelles, puis Turin. Faisant partie des émigrés, ses biens sont saisis, impliquant par la même occasion la suppression de la banalité des moulins. C’est la raison pour laquelle la municipalité de Charleville renommée Libreville depuis le 2 brumaire An II (23 octobre 1793) met en vente :

« un grand moulin à eau avec ses dépendances situé à Libreville, sur la rivière de Meuse pour la somme de 132 800 livres. »

En-tête de papier de Vente de Biens Nationaux provenant d'Emigrés
Archives départementales des Ardennes
En-tête de papier de Vente de Biens Nationaux provenant d’Emigrés.
Archives départementales des Ardennes

Il faudra trois enchères pour que le lot trouve preneur à 167 000 livres en ce 6  germinal An II (26 mars 1794). Ils se sont groupés à trois pour remporter cette enchère : Charles-Philbert Guenet, Jacques Lhoste et son fils Jean-François Louis Lhoste. Il semble que Jean-François Lhoste (1764-1833), marchand tanneur à Charleville soit rapidement devenu seul propriétaire du moulin. Sa fille Anne Henriette Stéphanie Lhoste (1801-1869) épouse le 6 février 1821 Louis Auguste Piette (1790-1865) de Rumigny. 

Louis Auguste Piette est notaire. Il se défait de cette charge en 1828. Il exploite alors les moulins de Charleville qui lui appartiennent du chef de sa femme et fait commerce de grains et de farines. En 1830, il crée une manufacture d’armes à Audrecy, près de Charleville et occupe différentes fonctions politiques dont celle de conseiller général. Il se retire ensuite à Rumigny dont il devient maire.

Portrait de Louis Auguste Piette
Archives départementales des Ardennes
Portrait de Louis Auguste Piette.
Archives départementales des Ardennes

En 1833, la construction du pont suspendu entre Charleville et Montcy-Saint-Pierre qui empiète de quelques mètres sur le lit de la Meuse a pour effet de détourner les eaux vers le chenal de navigation plutôt que vers le canal du moulin. En 1839, M. Perilleux, avocat, précise que depuis l’existence du pont suspendu, le sable et la grève s’amoncellent, réduisant considérablement le débit vers le moulin. Il en est de même pour les diverses crues du fleuve.

Lettre de Me PERILLEUX avocat
Archives départementales des Ardennes
Lettre de Me Perilleux, Avocat.
Archives départementales des Ardennes

Charleville 19 août 1839 
Monsieur, 

Je me suis rendu hier au pont suspendu sur la Meuse, à Charleville et là j’ai acquis par la notoriété publique, la certitude que la pile de ce pont, notamment du côté du canal, avait été construite dans le lit même de la Meuse. Plus de vingt personnes, nommées honnêtes et désintéressées, voisins du pont, ou qui ont travaillé à sa construction, m’ont affirmé de la manière la plus positive 1° que la pile du pont avançait de deux mètres au moins dans l’ancien lit de la Meuse; 2° qu’avant l’établissement du pont, l’intervalle laissé entre les bâtiments de M.M. DEMAZY et LALOYAUX LACOR à la Meuse avait plus de cinq mètres en moins ; 3°qu’à cet endroit il n’y avait jamais eu de sable ni grêves, tandis que depuis que l’état des lieux a changé, il s’y en amoncelle constamment ; 4° que vis-à-vis de la porte du jardin de M. DEMAZY et la tannerie de M. LALOYAUX, il y avait constamment dans les eaux basses douze pieds d’eau, tandis qu’aujourd’hui il y en a à peine 3 pieds ; 5° qu’enfin anciennement la rampe vis-à-vis M.M. DEMAZY à LALOYAUX était presque verticale. 
Il résulte de tout cela que les lieux auraient changé d’une manière sensible et que le nouvel état de chose aurait nui singulièrement au meunier. Il est impossible que la copie du plan que vous avez soit exacte. Dans tous les cas, je vous engage à prendre de nouveaux renseignements sur ce point qui est très important à constater : il ne suffit pas, comme vous l’avez insinuer sur les lieux, de dire que Perilleux n’éprouve pas de préjudice, il faut de bonnes raisons de cette décision, et il semble qu’il y aurait de la légèreté à décider d’une manière absolue, même à l’aide d’un plan, plus ou moins exact, et au quel Perilleux n’a pas concouru, que le pont n’a rien changé à l’ancien état des lieux, quand cent témoins désintéressés sont prêts à affirmer le contraire. 
Ma lettre étant toute officielle, je vous prie de constater dans votre Procès-verbal que je vous l’ai adressée et même d’en transcrire les termes ; elle servira de dire aux prétentions de Perilleux
Quant à la digue, je ne puis que vous prier de bien constater l’état des lieux et de dire ce que vous avez vu. 
J’ai l’honneur d’être 
Monsieur, 

Votre dévoué serviteur 
signé illisible 
avocat

Au sortir de la guerre de 1870/71 (traité de paix signé le 10 mai 1871), la France ayant perdu l’Alsace et une partie de la Lorraine, il y a urgence « de rétablir sur le territoire français des voies navigables interceptées par les nouvelles frontières ». On repense donc le projet de canalisation de la Meuse, projet datant des années 1868/1870. En ce qui concerne les Ardennes et plus particulièrement Charleville :

« une tranchée de jonction évitant le parcours de la Meuse entre Charleville et Montcy-Notre-Dame serait ouverte près et en aval du pont de Chemin de fer. Cette tranchée entraine la création en un point plus bas du fleuve d’un barrage de retenue des eaux. » 

Carte postale Montcy-Notre-Dame Le Pont sur le Canal
Carte postale Montcy-Notre-Dame Le Pont sur le Canal. Coll. Ardennes Toujours

Dans le même temps, un nouveau port se construit en rive gauche du fleuve, face à l’embranchement du nouveau canal. Il lui faut de la place et on pense au Moulin et ses dépendances. Dans le compte-rendu du Conseil municipal de Charleville en date du 17 juillet 1874, on lit :

« M le Maire expose au Conseil que dans une conversation qu’il a eu avec M.M. les Ingénieurs chargés de la canalisation de la Meuse, ces derniers ont beaucoup insisté pour que la ville de Charleville profite de la circonstance afin d’exproprier à son profit la totalité des usines du Moulin. Si la ville était en possession de cette usine, elle pourrait moyennant arrangement avec l’entrepreneur des travaux de canalisation, faire utiliser les déblais à provenir de la tranchée de Montcy au remblai du canal du Moulin et obtenir ainsi un vaste emplacement qui pourrait servir au port ou de promenade publique. »

En raison des dépenses très importantes auxquelles la ville doit faire face, cette proposition de M.M. les Ingénieurs est mise en attente. Le Conseil préconise de s’en tenir aux délibérations déjà enregistrées, à savoir l’expropriation de la chute d’eau. 

Une nouvelle proposition d’expropriation est soumise au Conseil municipal de Charleville du 15 mars 1876 ; la même réponse est donnée :

« Le Conseil a décidé qu’on attendrait pour s’occuper de cette acquisition l’époque à laquelle on aura pu se rendre compte des besoins que pourra faire naître le canal. »

Plan Charleville 1886 avec le nouveau port
Plan Charleville 1886 avec le nouveau port

« La canalisation de la Meuse entrainant la suppression du moulin PIETTE, au moins comme Moulin mû par la Meuse », c’est ainsi que le Moulin est décrit par la municipalité de Charleville. Aussi, le 16 novembre 1876, la famille Piette intente une procédure pour réclamer « une indemnité pour privation de jouissance du moulin. » En avril 1878, M. Colle, Ingénieur en Chef des Ponts et Chaussées communique à M. le Maire de Charleville :

« Les propriétaires du moulin de Charleville dont la chute est réduite par suite de l’exécution du barrage de la Folie, ont adressé une requête au Conseil de Préfecture dans le but de faire régler par ce tribunal et après expertise, l’indemnité à laquelle ils ont droit. »

Il faut plusieurs années de procédures pour arriver à un accord et c’est le 22 juillet 1887 que le Conseil d’Etat fixe à 65 700 francs la somme que la ville de Charleville doit donner aux propriétaires. 

L’achat par la ville de Charleville

Journal Les Ardennes du 15 octobre 1893 :

« Adjudication le lundi 30 octobre 1893 à deux heures de l’Ancien Moulin Hydraulique de Charleville composé d’un bâtiment à trois étages, faisant face à la rue du Moulin, le matériel qu’il renferme, vaste grenier et dépendances. Mise à prix… 15 000 fr. S’adresser, pour les renseignements, soit à la famille Piette, à Rumigny ; soit audit Me Bouillard. »

Le Moulin, privé depuis plusieurs années déjà de son énergie vitale indispensable à son activité est donc à vendre. 

Annonce de l'adjudication de l'ancien moulin
Journal "Les Ardennes" du 15 octobre 1893
Annonce de l’adjudication de l’ancien moulin. Journal « Les Ardennes » du 15 octobre 1893

Le Conseil municipal de Charleville en réunion le 25 octobre 1893, sous la présidence de son Maire M. Bouchez-Leheutre en décide l’acquisition  : 

« Le Conseil, 
Attendu la mise en vente annoncée pour le 30 octobre de l’ancien moulin et de ses dépendances appartenant à la famille Piette ;  
Vu les propositions de la famille Piette présentées verbalement par l’intermédiaire de Me Bouillard », Notaire, desquelles il résulte qu’une préférence serait accordée à la Ville si son intention était de se rendre acquéreur de cette propriété ;  
Vu la confirmation officielle des dites propositions résultant d’une lettre en date du 23 octobre par laquelle Me Bouillard » fait connaitre que la famille Piette consentirait à vendre amiablement à la Ville l’ancien moulin et ses dépendances pour la somme de 17 000  fr, frais compris, en accordant toutes facilités désirables au point de vue du paiement ;  
Vu le procès-verbal d’expertise de la dite propriété dressé par M. Petitfils, architecte municipal, sous la date du 24 octobre 1893 ;  
Sur l’avis conforme et unanime des Commissions des Finances et des Travaux qui ont examiné sérieusement la question ;  
Considérant qu’il y a une réelle importance municipale à réaliser l’acquisition de la propriété dont il s’agit ;  
Qu’en effet, la Ville, eu égard aux différents services qu’il importe d’assurer à sa population au nombre de ses sociétés, manque de locaux pour donner satisfaction à tous les intérêts en cause ;  
Que l’ancien moulin datant de la fondation de la Ville, d’un aspect monumental, d’une architecture élégante et dont le cachet particulier serait conservé, pourrait être aménagé en salles de fêtes, de conférences, de réunions, de musée, etc, recevoir en un mot toute destination reconnue utile de lui donner ;  
Que ses dépendances se composant de la jouissance du canal et de l’île existant entre le canal et la Meuse, pourraient être converties en une vaste promenade publique, admirablement située, formant un site agréable et qui serait certainement des plus fréquentés ;  
Qu’en prévision de l’avenir, il est d’une sage administration de profiter des circonstances favorables qui se présentent aujourd’hui pour doter la Ville d’un nouvel immeuble appelé à rendre de grands services et d’un square qui constituera un embellissement de la cité ;  
Que le prix modéré de la propriété et les facilités de paiement dont la Ville peut profiter, sont de plus des raisons qui doivent déterminer à réaliser le projet en question ;  
Par ces motifs ;  
Décide l’acquisition de l’ancien moulin et de ses dépendances moyennant le prix de 17 000 fr, les frais de vente de quelque nature qu’ils soient, y compris ceux de purges restant à la charge des vendeurs. La somme de 17 000 fr sera payée dans un délai maximum de 5 années à partir de la prise de possession de l’immeuble avec faculté pour la Ville de se libérer par anticipation au fur et à mesure de la disponibilité de ses fonds ; les intérêts légaux de 5% commenceront à courir du jour de la passation de l’acte et ils seront dus sur les sommes restant à acquitter après chaque versement. 
Le Conseil donne tous pouvoirs à M. le Maire pour poursuivre aussi activement que possible, la solution de cette affaire et signer l’acte à intervenir
. »

L’acte de vente est signé le 24 novembre 1893.

Procès verbal d'estimation 24 octobre 1893
Archives Départementales des Ardennes
Procès verbal d’estimation 24 octobre 1893.
Archives départementales des Ardennes

Ville de Charleville 
Mise en vente du vieux 
Moulin sur la Meuse 

Procès-verbal d’estimation 

L’an mil huit cent quatre vingt treize, le 24 octobre ; 
Je soussigné, Architecte du service municipal, chargé par Mr le Maire de procéder à l’estimation du vieux Moulin de Charleville et de ses dépendances, me suis transporté dans la propriété dont il s’agit et, après en avoir examiné des diverses parties, ai reconnu que la somme de Dix-sept mille francs, tous frais compris, fixée par les propriétaires actuels, n’est pas exagérée. 
En foi de quoi le présent procès-verbal a été dressé à Charleville les jours, mois et an susdits. 

Petitfils

Les travaux d’aménagement

L’ancien moulin et ses dépendances acquis, il faut songer à sa réfection et son aménagement : « La propriété du vieux moulin se compose non seulement des bâtiments, mais encore d’une certaine étendue de terrain située aux abords. La mise en valeur de cette propriété doit, par la suite, comprendre deux opérations distinctes : 

  1. création d’un square
  2. aménagement intérieur de la construction

Une commission des travaux est alors nommée afin d’examiner le projet d’aménagement proposé par M. Petitfils, architecte municipal. Il en ressort que le rez-de chaussée sera agencé en une salle de réunions, de conférences, de fêtes, etc et que les étages seront réservés aux sociétés locales, les dépendances et environs de l’ancien moulin seront arrangés en promenade publique. La pointe de la batte devenue désormais inutile sera supprimée. 

Dès 1894, les travaux vont bon train, tout d’abord, on pose un garde-fou pour prévenir des accidents près de l’escalier conduisant du moulin à la Meuse. Puis « les vieux matériaux existant dans l’ancien moulin » sont vendus par soumissions. Ainsi les fers et fontes sont emportés par Louis Richard, serrurier-mécanicien à la gare de Tournes, les meules partent chez Albert Colin, fabricant de couleurs à Prix-les-Mézières. 

« Les travaux qui s’imposent en premier lieu se rapportent à la conservation de l’immeuble » indique M. Petitfils dans une lettre adressée à M. le Maire le 3 mai 1895 : 

  • fourniture et pose de croisées (fenêtres)
  • restauration de la couverture
  • restauration des façades
  • restauration du perron
  • remplacement de la porte principale
  • construction d’un trottoir pavé
  • démolition de la charpente de deux étages et remise dans la position normale (à l’origine le moulin avait un rez-de-chaussée et deux étages, les besoins de l’industrie lui avaient donné trois étages, on supprime donc cet étage en trop et on ramène l’ensemble à son niveau d’origine)
  • construction de voûtes à la place des anciennes roues
  • réfections diverses des murs, planchers, plafonds, etc…

On s’apercevra au cours de ces réalisations que des interventions non prévues seront nécessaires, augmentant quelque peu le coût prévisionnel. 

Le 13 octobre 1895, M. le Maire soumet à son Conseil municipal la lettre suivante : 

« Je soussigné Peltier-Dapremont, sculpteur à Charleville, déclare m’engager à exécuter : 
Dans le fronton de l’ancien moulin, les armes de la ville de Charleville conformément au plan qui me sera remis et d’après une maquette d’au moins 1m50 à la base, que je soumettrais à l’approbation de l’Administration Municipale. (…)
. »

Détail du fronton de la façade principale : Les Armes de la ville de Charleville sculptées par PELTIER-DAPREMONT
Petits édifices historiques recueillis par A. Raguenet Architecte à Paris
Archives Départementales des Ardennes
Détail du fronton de la façade principale : Les Armes de la ville de Charleville sculptées par PELTIER-DAPREMONT.
Petits édifices historiques recueillis par A. Raguenet Architecte à Paris. Archives Départementales des Ardennes

Fin 1896, tous les travaux de réfection et de sculpture étant terminés, la municipalité peut entreprendre l’organisation qu’il convient d’affecter au vieux moulin. 
Les travaux extérieurs restant concernent le perron sur lequel on répare le socle, pose des pierres de Givet et le parement en pierre de Bulson, la balustrade en fer forgé et les abords qui seront réalisés en 1898. On supprimera dans le même temps l’escalier de gauche afin de le remplacer par un mur en moellons avec un couronnement en pierres de taille. 
L’idée pour le moulin d’accueillir une salle des fêtes ou une Bourse du Travail est rejetée. Il sera le siège d’organisations locales : 

  • au rez-de-chaussée, le concierge et les salles pour la Chambre de Commerce et son musée commercial et industriel
  • 1er étage, la Société d’Histoire Naturelle des Ardennes, les société Colombophiles, les sociétés poursuivant un but patriotique, scientifique ou d’agrément populaire, la chorale municipale
  • 2ème étage, la Fanfare municipale.

Le 30 mars 1898, l’Agent de Police M. Godart est nommé gardien du Vieux Moulin. 
En 1925, une bibliothèque populaire « fusionnée avec la grande dame triste de la place du Sépulcre » est ouverte au Vieux Moulin.

Pavillon du Grand Moulin à Charleville : plan des étages
Archives Départementales des Ardennes
Pavillon du Grand Moulin à Charleville : plan des étages.
Archives départementales des Ardennes

Les dépendances

La période qui suit concerne plus particulièrement les dépendances du Moulin, à savoir son île. A la construction de la bâtisse, elle n’existe pas. Pour diriger une partie de l’eau du fleuve vers les énormes roues du Moulin, on a construit une batte ou digue longue de quatre cent mètres le long de laquelle les alluvions se sont posés. Par ailleurs, au cours des années, la construction du Pont de Montcy-Saint-Pierre, le percement du Canal de Montcy-Notre-Dame, l’édification du barrage de la Folie, l’installation du nouveau port de Charleville, l’expropriation de la chute d’eau ont tellement accéléré le dépôt d’alluvions et de limons aux abords du Moulin, qu’une terre s’est formée, rapidement recouverte d’une abondante végétation. A cela, s’ajouteront les remblais lors des nombreuses constructions dans la ville. 

Le 15 février 1908, lors du Conseil municipal de la ville de Charleville, M. Autier, Maire fait l’exposé concernant la création d’un square dans l’île du Vieux Moulin : 

« Les formalités relatives à la création d’un square sur l’île du moulin suivent leur cours et maintenant qu’on peut avoir la certitude de l’autorisation de l’Administration supérieure, il y a lieu, pour gagner du temps, de réaliser les promesses de vente de terrains que nous avons obtenues au début des pourparlers. 
On se rappelle que nous devons procurer à l’Administration des Ponts et Chaussées une surface de terrain près du barrage de Montcy, en compensation de l’île
. »

C’est donc grâce à des échanges que ces terres appartenant alors à l’Etat (Ponts et Chaussées) deviennent enfin propriété de la Ville de Charleville. 

Dès le 17 mai de cette année 1908, le Club nautique dirigé par le Président Peltier demande l’autorisation de construire un garage à bateaux à la pointe aval de l’île (cette construction disparaîtra en 1914). 

Projet de construction d'un Garage sur l'île du Vieux Moulin 1914
Archives Municipales de Charleville-Mézières
Projet de construction d’un Garage sur l’île du Vieux Moulin 1914.
Archives Municipales de Charleville-Mézières

En 1911, une passerelle mitoyenne du Moulin pour relier le quai du Sépulcre à l’île est construite par la société des Usines de Flize, suffisante pour supporter la charge de chariot d’aménagement. Par la suite « la passerelle ne servira plus qu’au passage des piétons ». 
La consolidation des bords de l’île est confiée à « l’entrepreneur de travaux spéciaux de rivière » FRANÇOIS, il

« s’engage à exécuter les perrés (murs de soutènement en pierre sèche) de l’île et les dragages qui seront nécessaires. Les pierres seront en schistes ardoisiers de Fumay. La pente sera indiquée par les gabarits posés par le service de la voirie. »

Cette même entreprise est requise pour le démantèlement des pieux de la batte. 

En 1912, un bateau-lavoir est installé dans l’ancien canal d’amenée du Moulin côté quai du Sépulcre en remplacement d’installations de fortune. Le concierge du Vieux Moulin est alors chargé de l’ouverture et fermeture des portes de ce nouvel établissement. 

Pendant la Première Guerre Mondiale, Le Vieux Moulin est reconverti en hôpital militaire Kriegslazarett Alte Mühle (hôpital militaire du Vieux Moulin). Il fait partie des onze sites médicaux de Mézières et Charleville sous l’occupation allemande. Dans les notes du prêtre catholique Ludwig Berg attaché au grand quartier général de 1914 à 1918, ce Alte Mühledépend des médecins et infirmiers-infirmières (soeurs) du site de l’Ecole normale. On ne connait pas le nombre de lits, on sait simplement qu’il existe une garde militaire, qu’il n’a ni de cantine ni de chapelle.

Carte postale allemande Kriegslazarett Alte Mühle, hôpital militaire du Vieux Moulin
Carte vue sur Internet
Carte postale allemande Kriegslazarett Alte Mühle, hôpital militaire du Vieux Moulin

L’aménagement de l’île du Vieux Moulin se poursuit après la guerre. En 1923, à sa renaissance, le club nautique construit de nouveau un garage à bateaux. A partir de 1925, l’architecte urbaniste macérien Pierre Devillers trace les plans d’un futur parc. 
La Ville de Charleville devenue propriétaire du groupe Le Défrichement de Henri Bouchard, son Maire Charles Boutet le 30 décembre 1930

« invite ses collègues du Conseil municipal à apporter toutes suggestions utiles sur le choix d’un emplacement pour le groupe en question qui a une longueur totale de 18 m ».

Le groupe est installé sur l’île du Vieux Moulin et inauguré le 8 novembre 1931. Dépossédé de ses bœufs et du bouviers en 1942, le groupe (dont il ne reste que le laboureur et sa charrue) trouve refuge dans la cour du musée municipal. Le 25 septembre 1950, Jacques Bozzi, Maire de Charleville et son Conseil municipal, profitant de la rénovation du parc de l’île du Vieux Moulin, décident que le laboureur et sa charrue seront réinstallés sur l’île à quelques mètres de son premier emplacement. Ce sera chose faite dès 1951. 

Carte postale Le Vieux Moulin et le Monument Le Défrichement
Collection Ardennes, toujours...
Carte postale Le Vieux Moulin et le Monument Le Défrichement. Coll. Ardennes Toujours

Dans le même temps, le parc du Mont Olympe qui appartenait à différents propriétaires privés est entièrement racheté par la Ville en 1927. Il est transformé en jardin public et espace vert avec des sentiers, des escaliers. Le bas du Mont Olympe, au bord de la Meuse, est utilisé pour des jardins ouvriers. 
Pour accéder à cette nouvelle promenade, dès 1933, on construit une passerelle suspendue (la première des Ardennes) qui la relie à l’île du Vieux Moulin. Terminée le 30 août 1934, elle est inaugurée par le maire de Charleville, Charles Boutet, le 16 septembre de la même année. Détruite pendant la Seconde Guerre mondiale, elle est remontée à la Libération par son constructeur d’origineLeinekugel le Cocq et Fils.

La génèse et la création d’un Musée Rimbaud

Charleville possède depuis pratiquement la Révolution un musée et une bibliothèque, tout deux situés sous le même toit de la place du Sépulcre (place Jacques Félix). A partir de 1888, suite au succès de l’exposition de l’Union Artistique des Ardennes, le musée se met à grandir d’année en année pour se trouver à l’étroit. Il est alors transporté dans l’ex-établissement des Dames du Sacré-Cœur, racheté par la ville en 1906 (après le vote du décret du 16 mars 1906 portant règlement d’administration publique pour l’exécution de la loi du 9 décembre 1905 sur la séparation des Églises et de l’État), situé au 2 de la rue du Musée et de l’Arquebuse. Inauguré le 17 mars 1912, il se compose d’un musée archéologique et préhistorique, un musée industriel et commercial, d’une galerie des Beaux-Arts, un musée des Beaux-Arts et un musée des Francs-Galois. 

Mais c’est l’année 1954, le 17 octobre 1954 pour être plus précis, qui est à marquer d’une pierre blanche. On fête cette année-là le centenaire de la naissance à Charleville du poète Arthur Rimbaud. Après avoir dévoilé une plaque sur son ancienne habitation quai Rimbaud, puis une seconde sur l’ancien collège où il étudia place du Sépulcre (place Jacques Félix aujourd’hui), un buste dans le square de la Gare (le troisième), l’Académicien Georges Duhamel inaugure ce 17 octobre 1954 le Musée Rimbaud, au coeur du musée de la ville et qui prend place… dans l’ancienne chapelle des Dames du Sacré-Cœur. Il aura fallu du temps, de l’abnégation, de l’opiniâtreté, de la persévérance pour aboutir à ce projet. Depuis 1927, Jean-Paul Vaillant (1897-1972) président de la Société des Ecrivains Ardennais et fondateur de la Société des Amis de Rimbaud réclamait un endroit où poser ce musée avec depuis 1948 l’appui de l’Inspecteur général des Musées de province Jean Vergnet-Ruiz (1876-1972).

Carte postale L'Avenue de la Gare et la Rue du Musée
Collection Ardennes, toujours...
Carte postale L’Avenue de la Gare et la Rue du Musée. Coll. Ardennes Toujours

C’est à Stéphane Taute (1918-1999), jeune conservateur des musées et bibliothécaire de Charleville que revient la lourde tâche d’organiser dans cette salle, ce musée évocateur de la vie et de l’œuvre du poète. 

Dès 1944, Stéphane Taute ambitionne la création d’un espace entièrement dédié au poète Arthur Rimbaud. Il commence alors à rassembler les ouvrages se rapportant au poète dans le but de constituer un fonds Rimbaud. Pour cela, il entre en contact avec de nombreux collectionneurs. Ses recherches lui font alors entrer en contact avec un certain Henri Matarasso. 

Henri Matarasso (1892-1985) est libraire spécialisé dans la vente de livres anciens à Paris, puis à Nice. Il a déjà réalisé une présentation de documents inédits sur Rimbaud en Afrique. Il co-signe avec Pierre Petitfils en 1962 une biographie Vie d’Arthur Rimbaud. Il rencontre tous ceux qui ont de près ou de loin croisé Rimbaud, recherche tous documents, objets concernant le poète. Il lui importe que Charleville ait son musée consacré au poète. 

A ces deux passionnés, il faut ajouter quelques années plus tard le député-maire de Charleville, André Lebon (1910-1994) qui profite de ses séjours à Paris pour prospecter les marchands et enrichir le fonds Rimbaud. Il accumule notes et documents qu’il nomme Glanes rimbaldiennes. En mars 1969, il lancera le premier Cahier du centre Culturel Arthur Rimbaud dont le but est de répondre au désir mondial de documentation et de recherches sur Arthur Rimbaud.

Cahier du Centre Culturel Arthur RIMBAUD créé par André Lebon
Cahier du Centre Culturel Arthur RIMBAUD
créé par André Lebon

Le modeste Musée Rimbaud possède déjà quelques objets liés à « l’Homme aux semelles de vent » : une timbale en argent ; des couverts en argents : cuiller, fourchette, couteau remis par le Docteur Augustin Gilbert cousin de Rimbaud ; quatre petits flacons de parfum ; une photographie d’Isabelle Rimbaud soeur du poète ; le palmarès de Rimbaud au collège de Charleville ; quelques livres ayant appartenu à Rimbaud remis par Alfred Bardey son employeur à Aden : Le livre de poche du charpentier par Merly, Le guide du constructeur (maçonnerie) par Demanet, Le guide pratique du conducteur des Ponts et Chaussées et de l’agent-voyer par Birot. 

Puis ce Musée Rimbaud reçoit en début d’année 1954 un don de Henri Matarasso :

« M. Matarasso, 72 rue de Seine à Paris, vient de faire don au Musée Arthur Rimbaud, d’un grand nombre de documents, autographes, livres et tableaux concernant Arthur Rimbaud. 
Cette dotation est d’une très grande valeur, certains documents étant uniques. Aussi, étant donné le rôle qu’il a pris dans la fondation du Musée et dans la réunion des documents qui constituent son premier fonds, M. Matarasso désire qu’une plaque soit apposée à l’entrée du Musée, rappelant le don qu’il fait actuellement et ceux qu’il espère faire ultérieurement.
 »

peut-on lire dans le compte-rendu du Conseil municipal de la ville de Charleville du 31 mai 1954.

La malle d'Arthur Rimbaud issue de la donation Matarasso
Photo Ardennes, toujours...
La malle d’Arthur Rimbaud issue de la donation Matarasso. Coll. Ardennes Toujours

Cette donation considérée par beaucoup comme acte fondateur du Musée Rimbaud, est constituée entre-autres d’une édition originale de « Une Saison en Enfer », la fameuse valise ou malle, des cartes, le manuel de géographie de Rimbaud, ou une lettre de Georges Izambart, une lettre de Madame Rimbaud à ce même Izambart, le dessin de la civière que Rimbaud a fait construire pour son transport de Harar à Aden (liste non exhaustive). 

On peut noter aussi que pour le centenaire de sa naissance, une exposition Arthur  Rimbauda lieu à Paris à la Bibliothèque Nationale du 23 novembre 1954 au 21 janvier 1955. Elle rassemble plus de 1200 documents ou objets venus des musées du Louvre, de Versailles, de l’Homme, des Archives de France, de Charleville, de bibliothèques de province et de l’étranger, de la bibliothèque royale de Bruxelles ainsi que de nombreux collectionneurs privés. La mise en scène est orchestrée par Suzanne Briet, originaire des Ardennes, ayant pour parent et voisin André Dhôtel.

Catalogue de l'exposition Arthur Rimbaud à la Bibliothèque Nationale à Paris 1954/1955
Catalogue de l’exposition Arthur Rimbaud à la Bibliothèque Nationale
à Paris 1954/1955

Le Vieux Moulin devient Musée

« Depuis des années on se plaint de l’absence d’un Musée de folklore dans l’agglomération chef-lieu et l’on déplore la disparition de quantité de souvenirs de notre civilisation artisanale du XIXe siècle faute d’un local pour les recueillir ; beaucoup aussi regrettent qu’un bâtiment comme le Vieux Moulin ne trouve pas la destination que sembleraient devoir lui imposer et son architecture et sa situation : celle d’un Musée. 
Avec l’exposition qu’elle présente aujourd’hui, la Société d’Etudes Ardennaises veut montrer qu’avec l’aide de la ville, elle peut réaliser ce Musée de la vie ardennaise.
 »

René Robinet, Directeur des Archives du Nord. 

C’est chose faite le 6 juin 1959 lorsque la Société d’Etudes Ardennaises organise une exposition La Vie ardennaise au siècle passé dans deux salles du Vieux Moulin desquelles on a hâtivement débarrassé du matériel de l’Ecole de Musique. 

Ce même 6 juin 1959, André Lebon, maire Charleville, annonce son intention de convertir l’ensemble du Vieux Moulin en Musée. Il peut compter sur les soutiens René Robinet, conservateur en chef des Archives départementales des Ardennes (1946-1966) puis des Archives départementales du Nord (1966-1982) et de Georges-Henri Rivière, fondateur du musée des Arts et Traditions populaires du Trocadéro (Paris). De son côté, la Société d’Etudes Ardennaises fait un certain nombre de propositions pour l’organisation et l’administration de ce nouveau bâtiment. Elle souhaite un musée de la vie ardennaise couvrant l’ensemble du département. 

Il faut pour cela reloger les Sociétés qui l’occupent, faire des travaux d’aménagement, nommer un conservateur.

Panonceau dessiné par Jean-Paul Brunet en 1961
Carolo'Mag n°227 Février 2019
Panonceau dessiné par Jean-Paul Brunet en 1961 Carolo’Mag n°227 Février 2019

Claude Teinturier est la première conservatrice du Musée de l’Ardenne. Née en 1934, elle est diplômée de l’Ecole du Louvre. Elle rédige dès 1959 une étude relative aux objets archéologiques des collections publiques du département des Ardennes. En 1965, elle épouse Jean-Marcel Plat, ingénieur des services agricoles. Entre 1960 et 1970, date de son départ suite à la nomination de son mari à Chartres, Claude Plat-Teinturier rassemble nombre de collections et organise d’importantes expositions comme : 

  • en 1961 Marionnettes d’hier et d’aujourd’hui réalisée conjointement par la SEA et Les Petits Comédiens de Chiffons lors du premier Festival international des marionnettes
  • en 1962 Le folklore ardennais consacrée au travail de la terre et de la forêt. Ce fut l’occasion d’un appel aux dons : « Chacun peut (facilement) participer à l’enrichissement du Musée de l’Ardenne : peut-être dans votre grenier ou dans vos dépendances, trouverez-vous de quoi enrichir cette collection »
  • en 1963 La chasse et les Ardennes sous la présidence du préfet Robert Hayem qui ne manqua pas d’évoquer « le sanglier, symbole de l’accord entre l’Ardennais et son pays ».
  • en 1967 Naissance d’une capitale ardennaise, après la fusion, cette exposition rappelait le passé des relations entre Charleville et Mézières tout en présentant les perspectives d’avenir.

Libéré des Sociétés qui y avaient leur siège, le Vieux Moulin peut alors être aménagé : ouverture d’une salle pour les expositions temporaires en 1961 avec vitrines et panneaux agencés par Jean-Paul Brunet, puis les salles d’expositions permanentes : la salle des métiers en 1963 ouverte au premier étage, la salle de la chasse en 1965, la reconstitution d’une forge de Sorendal en 1966, la reconstitution d’un intérieur ardennais en 1967.

Carte postale Interieur ardennais
Carte postale Interieur ardennais. Coll. Ardennes Toujours

En 1969, Stéphane Taute écrivait : 

« Si l’emplacement de ce monument unique qu’est le Vieux Moulin est de tout premier ordre au sein de la ville, il jouit au regard du souvenir de Rimbaud d’une situation privilégiée. Lancé sur un bras de Meuse, il marque le départ du quai de la Madeleine (aujourd’hui quai Rimbaud) où le poète demeura, à moins de cinquante mètres de là, au numéro 7 (alors 5 bis) de 1869 à 1875, soit très exactement pendant toute la durée de sa courte vie littéraire. (…) Ainsi transféré au Vieux Moulin, le Musée Rimbauds’insère parfaitement parmi les évocations que l’on peut faire du poète à Charleville au moment même de la naissance de sa vocation poétique ». 

En 1969, le Musée Rimbaud est transféré au second étage du Vieux Moulin… Il ne devait plus quitter le bâtiment ! 

C’est donc un Musée de l’Ardenne et un Musée Rimbaud que découvre le nouveau conservateur Alain Tourneux le 1er avril 1980. Ses missions :

  • s’occuper du développement du Musée Rimbaud afin qu’il devienne autonome
  • penser un nouveau Musée d’art et d’histoire pour succéder au Musée de l’Ardenne

Ce nouveau Musée de l’Ardenne est inauguré le 20 octobre 1994, jour anniversaire de la naissance d’Arthur Rimbaud. Il est situé au sein d’un ensemble de bâtiments englobant un des vingt-six pavillons de la place Ducale. Une cour et un jardin ont permis d’établir un passage public reliant la place Ducale et la place Winston Churchill. Ce Musée de l’Ardenne présente des collections touchant essentiellement à l’archéologie, aux beaux-arts, ainsi qu’à l’histoire de la ville de Charleville-Mézières et à celle des Ardennes. 

Quant au Musée Rimbaud demeuré dans l’ancien moulin à grains, la première préoccupation d’Alain Tourneux est de le faire descendre du deuxième étage au rez-de-chaussée ; trois années sont nécessaires. Puis de 1985 à 1994 et au fur-et-à-mesure de l’avancement du projet de nouveau Musée de l’Ardenne, de l’espace se libère, profitant ainsi au Musée Rimbaud resté seul dans les murs du Vieux Moulin. 

Le 23 février 1981, les façades et toitures du bâtiment sont classées au titre des Monuments Historiques (il avait été inscrit sur l’inventaire supplémentaire des monuments historiques le 19 juillet 1926). Une première restauration est entreprise en 1985 sur les parties protégées. En 1997, les arches et les fondations ont fait l’objet d’une reprise et d’une restauration pour les parties visibles.

Journal Officiel du 14 mars 1982 : Liste des immeubles classés parmi les monuments historiques au cours de l'année 1981
Journal Officiel du 14 mars 1982 : Liste des immeubles classés parmi les monuments historiques au cours de l’année 1981

Pendant l’année 1991, année du centenaire de la mort du poète, de nombreuses commémorations nationales sont organisées. A Paris, l’Institut du Monde Arabe monte une exposition Rimbaud-Aden, aller-retour, le Musée d’Orsay présente l’exposition Arthur Rimbaud, portraits et manuscrits (du 22 octobre 1991 au 12 janvier 1992) avec le célèbre Coin de table de Henri Fantin-Latour, cette exposition est présentée en avant-première à Charleville-Mézières (du 6 septembre au 6 octobre 1991) où les trois niveaux du Vieux Moulin sont réquisitionnés pour mettre en valeur le poète. 

En 2004, pour marquer les cent cinquante ans de la naissance du poète, la maison où la famille Rimbaud habita de 1869 à 1875 devient la Maison des Ailleurs. Rachetée en plusieurs tranches par la municipalité, cette maison située presque en face du Vieux Moulin, 5 bis quai de la Madeleine (7 quai Rimbaud aujourd’hui) vide de tous meubles accueille un dispositif composé de sons et vidéos. Chaque pièce est consacrée à une ville, un pays, Londres, Aden, Chypre, Harar où le poète s’est rendu. 

Maison des Ailleurs Maison où la famille RIMBAUD habita de 1869 à 1875 au 5 bis quai de la Madeleine (7 quai Rimbaud aujourd'hui)
Maison des Ailleurs Maison où la famille RIMBAUD habita de 1869 à 1875 au 5 bis quai de la Madeleine (7 quai Rimbaud aujourd’hui). © Photo Ardennes Toujours

La rénovation

Pourtant les visites au Musée Rimbaud se raréfient : le musée devient désuet. Il faut tout repenser, tout rénover : projet ambitieux qui coûte très cher, il faut une volonté de l’Etat car la ville ou le département ne peuvent pas assumer la dépense. La décision est prise en 2009 de transformer de fond en comble ce Musée. 

Après avoir obtenu l’aval du ministère, Claudine Ledoux, maire de Charleville-Mézières et Alain Tourneux conservateur du musée, font appel à Café Programmation, une structure spécialisée dans les études de projets culturels qui a déjà œuvré à Charleville-Mézières pour la Maison des Ailleurs (2004) et la Médiathèque Voyelles (2008). 

Le concours d’architectes nommé « Réaménagement et extension du Musée Arthur Rimbaud et de son jardin à Charleville-Mézières » est lancé en janvier 2012. Deux comités sont chargés de la sélection : 

  • le comité technique
  • le comité artistique. Il se compose de Claude Jeancolas et Jean-Jacques Lefrère, biographes de Rimbaud, Jean-Hugues Berrou, auteur de films et d’ouvrages photographiques sur Rimbaud, Ernest Pignon-Ernest, peintre et auteur de portraits de Rimbaud, Denis Lavant, comédien. La chanteuse Patti Smith sollicitée n’a pas pu rejoindre le groupe faute de temps : elle avait accepté en décembre 2011 d’être la marraine du projet de rénovation du Musée.

Les futurs concepteurs peuvent laisser libre cours à leur imagination, aucune règle n’étant fixée, hormis l’obligation de ne pas modifier façades et toitures, classées au titre des Monuments Historiques. Sur les cent vingt dossiers reçus de par le monde, une quinzaine est sélectionnée pour étude approfondie. 

Couverture du magazine de la Ville de Charleville-Mézières 
Carolo'Mag n°167 La rénovation du Musée Arthur Rimbaud
Couverture du magazine de la Ville de Charleville-Mézières Carolo’Mag n°167 La rénovation du Musée Arthur Rimbaud

Le lauréat est le cabinet parisien d’architectes Abinal & Ropars. Associés depuis 2006, Edouard Ropars et Julien Abinal ont créé leur SARL d’Architecture en 2008. Leurs travaux se concentrent sur des programmes liés à la culture et aux pratiques urbaines contemporaines. Pour ce projet, ils se sont entourés de Claude Lévèque artiste plasticien, Stéphane Bouquetécrivain poète et Xavier Barral graphiste éditeur de livres. 

Leur désir, rendre palpable ce qui pourrait signifier entrer en poésie en redéfinissant le Vieux Moulin en maison de la poésie : chaque espace devant évoquer par son ambiance propre les différentes facettes du poète. 

« Nous avons tenté de révolutionner l’image du musée littéraire pour muséographier l’oralité de l’œuvre et parcourir la vie d’Arthur Rimbaud. « Il faut être absolument moderne » avait-il écrit, nous avons essayé de suivre ce slogan en présentant le texte poétique à chaque niveau du musée et en utilisant l’apport numérique quand cela était pertinent. »

Carole Marquet-Morelle, directrice du Musée
L’Express du 9 septembre 2016

Le coût des travaux estimé à 4,7 millions d’euros hors taxes est réparti entre l’Europe (FEDER Fonds Européen de Développement Régional), l’Etat (DRAC Direction Régionale des Affaires Culturelles), la région Champagne-Ardenne, le Conseil général des Ardennes et la ville de Charleville-Mézières qui est maîtresse d’ouvrage. 

Après un an et demi de travaux, le nouveau Musée est inauguré le 27 juin 2015 en présence de Ernest Pignon-Ernest artiste plasticien, Hubert-Félix Thiéfaine auteur-compositeur-interprète et Jacques Bonnaffé acteur et metteur en scène. Il est réouvert totalement au public le 20 octobre 2015. 
Outre les documents liés directement au poète, le lieu met aussi à l’honneur les travaux de nombreux artistes lui rendant hommage comme Fernand Léger, Jean Cocteau, Sonia Delaunay ou Patti Smith. 

Plan coupe du futur Musée
Les Ardennes en marche n°39 Juin/Juillet/Août 2015
Plan coupe du futur Musée Les Ardennes en marche n°39 Juin/Juillet/Août 2015

Les visiteurs du nouveau musée sont conviés à suivre un parcours commençant par le grenier spécialement aménagé, censé représenter le grenier de la ferme de Roche où Rimbaud écrivit « Une saison en enfer » entre avril et août 1873. On peut y entendre une partie de l’œuvre du poète en plusieurs langues. 

La suite de la visite est plus conventionnelle (sur trois niveaux), une salle dédiée à l’enfance et la poésie, son œuvre, ses voyages à Paris et en Europe, une salle dédiée à ses voyages en Afrique et une salle aux trésors, contenant les papiers de l’écrivain : manuscrits, autographes que l’on peut voir aujourd’hui grâce à une lumière infrarouge qui n’altère pas les documents. 

Du grenier et pour accéder aux niveaux inférieurs, le visiteur est amené à prendre un grand escalier établi sur toute la hauteur de l’ancien moulin. Sur son mur, le Cadran baigné d’une lumière bleue et imaginé par Claude Lévèque reproduit le parcours en boucle de Rimbaud. 

Pour rejoindre la toute dernière salle, le visiteur se retrouve alors au dehors, sous une des arches du Vieux Moulin le Wasserfall où il surplombe un bras de Meuse, fleuve inspirateur du Bateau ivre

A sa sortie du Musée à l’arrière du bâtiment, le visiteur accède à l’île où un jardin de fleurs blanches a été conçu. Il peut, soit rejoindre l’ancien garage à bateaux (l’Auberge verte), réhabilité lui aussi par le projet et pouvant accueillir de nombreuses manifestations culturelles : expositions, lectures, débats…, soit rejoindre (sur sa gauche) le belvédère surplombant la Meuse. 

Maquette tactile du Vieux Moulin réalisée par Igor Depaix en partenariat avec FabLab de l'Institut de Formation Technique Supérieure (aujourd'hui EiSINe) de Charleville-Mézières par modélisation puis impression 3D 
Don du comité Ardennes de l'Association Valentin Haüy 2016
Musée de l'Ardenne
Maquette tactile du Vieux Moulin réalisée par Igor Depaix en partenariat avec FabLab de l’Institut de Formation Technique Supérieure (aujourd’hui EiSINe) de Charleville-Mézières par modélisation puis impression 3D. Don du comité Ardennes de l’Association Valentin Haüy 2016.
Musée de l’Ardenne. © Photo Ardennes Toujours

Régulièrement, les collections du Musée « tournent », ces rotations permettent de mettre en avant certaines œuvre alors que d’autres sont mises en réserve jusqu’à ce qu’elles ressortent pour le plus grand plaisir des visiteurs. Il en va de même pour les expositions temporaires. 

Sources

Carolo’Mag 
Les Cahiers d’Etudes ardennaises : Charleville et Mézières 
Nouvelle Revue de Champagne et de Brie (incendie 1928) 
L’Automobilisme Ardennais 
Les Ardennes en marche 
Terres Ardennaises 
Archives municipales de Charleville-Mézières 
Archives départementales des Ardennes 
Charleville au temps des Gonzagues : Alain Sartelet
D’Arthur le voyou à l’idole Rimbaud : Bruno Testa
Musée de l’Ardennes Musée Rimbaud Ville de Charleville 1606 Actes du colloque 2006 
Histoire de Charleville : Jean Hubert
Histoire du Canal de l’Est 1874-1888 : L. Viansson
Les campagnes d’un paysagiste Texte et croquis : Frédéric Henriet 1891 
Bibliothèque Gallica
L’Express du 9 septembre 2016 
Le Monde 
France-Bleu Champagne-Ardenne 
Musée Arthur Rimbaud Charleville-Mézières 
Musée de l’Ardenne Charleville-Mézières

Croquis du Vieux moulin à Charleville (Ardennes) Les campagnes d'un paysagiste Texte et croquis par Frédéric Henriet 1891
Croquis du Vieux moulin à Charleville (Ardennes)
Les campagnes d’un paysagiste. Texte et croquis par Frédéric Henriet 1891