Laifour, ce petit village ardennais est situé dans un méandre de la Meuse, sur la rive gauche du fleuve, entre les villages de Deville et de Anchamps.
Le village est dominé par trois collines rocheuses recouvertes de forêts : le rocher des Dames de Meuse. Cet endroit fait partie de l’unité la plus ancienne du massif ardennais dans laquelle la Meuse a creusé une vallée profonde.
Avant la construction de l’écluse des Dames de Meuse, cet endroit était réputé pour être extrêmement dangereux. C’est pour cette raison que la foi des mariniers avait placé le plus haut des pics sous l’invocation de la Sainte-Vierge, d’où le nom de Notre Dame de Meuse. Ce nom est malheureusement très peu connu aujourd’hui, occulté par la légende.
Par décret du 3 février 1997, le site est classé Site naturel sur la base des critères pittoresques, scientifiques et légendaires.
Ce rocher tire son nom d’une légende locale datant de la fin du XIXème siècle : la légende des Dames de Meuse.
La légende se déroule en l’an mil quatre-vingts, le Pape Urbain II avait invité tous les chrétiens à la croisade. Menée au cri de « Dieu le veut ! »; elle rassemblait dans un même élan preux chevaliers, bourgeois et manants.
Dans nos Ardennes, le haut et puissant seigneur de Hierges avait trois fils : Héribrand, Geoffroy et Vauthier, qui épousèrent les trois filles du très haut et très puissant Comte de Rethel, Hugues Ier : Hodierne, Berthe et Iges.
Et puis, peu de temps après le mariage, les trois preux chevaliers partent pour la première croisade menée par Godefroy de Bouilllon qui se dirige vers la Palestine.
Au château de Hierges où elles demeurent, les trois épouses sont tristes : « Elles ont tristesse à mourir, et elles regardent malement les robes de bures qu’elles revêtirent le jour du départ. Triste est la forêt, triste le donjon, tristes les chambres, tristes les cœurs. » (Jean-Paul Vaillant).
Régulièrement, des messagers apportent de bonnes nouvelles aux trois épouses.
« Mais combien froid est un si lointain message ! Il ravive le très vilain déconfort qui sommeille au fond des cœurs marris ».
Jean-Paul Vaillant
Or, voilà qu’à l’aube d’un nouveau jour au château de Hierges, se présentent trois beaux chevaliers dont l’histoire n’a pas retenu leurs noms : « Ces chevaliers sont beaux et bien emparlés, et leurs regards sont doux. Ils savent dire de tendres paroles, enduites de miel, et faire de riches présents. Ils jouent l’un la harpe, l’autre la rote, le troisième la vielle, et leur musique harmonieuse jette un frais sourire sur les murs du vieux manoir et dans le cœur des jeunes dames, qui avaient trop grand déconfort. » (Jean-Paul Vaillant).
Les trois épouses ravies, retrouvent le sourire et courent chacune en leur chambre pour y revêtir leurs plus beaux atours. De même, les salles d’honneur du château sont de nouveau richement décorées.
« Dans la salle des festins, Hodierne, Berthe et Iges font honneur aux beaux chevaliers, auxquels elles doivent franche et bonne hospitalité ». « et douces sont les paroles d’amour, et charmant le chant de la harpe, et séduisant les corps des beaux chevaliers, qui sont bien emparlés et dont les bras sont faibles au maniement de l’épée… » (Jean-Paul Vaillant). Le soir même, oubliant le serment qu’elles ont fait aux époux, elles s’abandonnent dans les bras des amants.
Le matin est levé depuis bien longtemps sur le château de Hierges. Tandis que les trois chevaliers félons galopent vers d’autres coupables amours, Hodierne, Berthe et Ige ouvrent les coffrets offerts : elles y découvrent chacune cent marcs d’or. Dans cette même nuit, très loin de leur château ardennais, les trois preux chevaliers Héribrand, Geoffroy et Vauthier périrent en loyal combat sur les terres de Palestine.
Comprenant la trahison dont elles étaient coupables, elles s’enfuirent de leur château. Mais le jour même où Jérusalem était pris d’assaut par les croisés, Dieu par l’intermédiaire de Saint Christophe se chargea de les punir : « Courbées sous le poids de leur vile honte, les Dames tournent leur dos au miroir de Meuse, qui est éclatant. Christophe a fort violemment brisé leurs reins, leurs pieds font commerce avec les Naïades, et leurs têtes qui furent tant jolies, pleurent à grand’misère courbées sous le poids de leur pesante honte. » (Jean-Paul Vaillant).
Et ce sont ces trois formes rocheuses, rivées l’une à l’autre, broussailleuses, tapissées de mousse et surplombant le fleuve dont elles semblent émerger, que l’on nomme aujourd’hui : les Dames de Meuse.
Il semblerait que cette légende ait été bâtie de toute pièce à la fin du XIXème siècle.
C’est en découvrant une représentation des rochers dominant Laifour exécutée par le dessinateur dijonnais Louis Morel-Retz (1825-1899), connu sous le pseudonyme de Stopdans Le Journal Amusant du 31 janvier 1874, que la légende serait née alors de l’imagination d’un auteur belge Henri de Nimal (Légendes de la Meuse) en 1898.
Albert Meyrac l’aurait popularisée et Henri Dacremont l’a mise en vers.
« Un beau matin d’amour, le comte de Relhel
Henri Dacremont
En son manoir reçut trois preux, les fils de Hierges ;
Les trois filles du comte étaient trois blondes vierges,
Qui promirent aux preux un amour immortel.
Avant leur pauvre amour, les trois preux sur l’autel
Avaient juré d’aller combattre en Palestine.
Ils partirent un soir, la croix sur la poitrine,
A leurs dames laissant la garde du castel.
L’amour chasse l’amour, quand l’oubli se prolonge,
L’amour, l’amour félon chassa l’amour juré ;
Mais voilà qu’une nuit dans le castel muré
Une terreur passa, comme un horrible songe.
Dans le ciel noir immense, il planait des lueurs ;
De la terre profonde il montait des clameurs,
Dans l’enfer où pleurait une lugubre plainte,
Les croisés avaient pris Jérusalem la Sainte.
Tandis que dans les bras de leurs amants peureux
Les dames du castel ont trahi les trois preux,
Autour du Saint-Sépulcre à la lueur des cierges
Sont ensemble à genoux les trois preux fils de Hierges.
Mais de dure façon, le Seigneur les vengea,
Sans pitié pour toujours la nuit même il changea
Les dames du castel en trois roches énormes
Qui dressent à jamais leurs trois spectrales formes.
Sur la Meuse depuis tristement nuit et jour
Que renaissent les fleurs, qu’elles s’ouvrent ou meurent,
Les dames du castel, les traîtresses d’amour,
Immobiles rochers, éternellement pleurent. »
Sources
Les extraits cités sont issus de Légendes Ardennaise, Les Dames de Meuse de Jean-Paul Vaillant.
LégiFrance : Décret du 3 février 1997 portant classement d’un site.
Les Ardennes françaises de décembre 1923 et juillet 1927.
Revue d’Ardenne et d’Argonne mars-avril 1894.
Tiré à part n°146 de la ville de Charleville-Mézières.
Légendes Ardennaises, Éditions de l’Écureuil 1949 Les Dames de Meuse par Jean-Paul Vaillant.
Les Ardennes Contes et Légendes d’après Albert Meyrac, Éditions Noires Terres.
Le Journal Amusant : Les Ardennes Françaises, 31 janvier 1874.